Les recommandations que fait Henri Michaux (1899-1984) au lecteur ne sont pas toutes à prendre à la légère. Si certaines sont datées, convenues, voire absconses, d’autres fouettent l’esprit avec ferveur, tranchantes et laissent de sévères entailles sur la peau, cette surface que nous avons probablement de plus élargie et de plus profonde en nous :
« Si tu traces une route, attention, tu auras du mal à revenir à l’étendue ». Et les pages égrènent les aphorismes, les apophtegmes comme un chapelet une foi en soi, en dépit de ses propres gouffres et de ses faiblesses insondables : «
Ne te livre pas comme un paquet ficelé. Ris avec tes cris ; crie avec tes rires ». Michaux tutoie un interlocuteur invisible qui est autant lui-même que le lecteur. Le procédé est efficace. Le poète, après mûres réflexions et un âge avancé, délivre des messages boomerang dont l’évidence et la clarté effraient. Il existe trois versions du texte datées de 1971, 1978 et 1981 enrichis de nouveaux développements. Michaux est successivement âgé de 72 ans, 79 ans et 82 ans. D’un abord aisé, l’écriture de Michaux, paradoxalement, ne se livre pas aussi facilement. Elle esquive, feinte et pique quand la garde du lecteur est baissée. Il faut recommencer sans cesse la lecture de
Poteaux d’angle car la pensée de l’auteur s’éploie derrière les points de suspension, dans le non-dit. Fine lame des lettres, l’immense poète au regard incandescent délivre sa vision tranchante du monde à l’hiver de sa vie quand tout le toc et le clinquant des existences étriquées rutilent en vain et que le grand départ s’annonce :
« Non, non, pas acquérir. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin. » Le songe, l’écoulement des secondes constituent des précieux moments de vie où l’effacement et l’allègement de l’être sont les garants d’une libération de l’esprit :
« Habiter parmi les secondes, autre monde/si près de soi/du cœur/du souffle//Perpétuel incessant impermanent/Train égal vers l’extinction//Passantes/Régulièrement dépassées/régulièrement remplacées/passées sans retour/passant sans unir/sobres/pures/une à une descendant le fil de la vie/passant… ».
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