Etonnant ce dernier livre d'André Gorz, intellectuel sartrien, journaliste à l'Express de JJSS puis fondateur avec Jean Daniel et quelques autres du Nouvel Obs, ami d'Ivan Illich et un des penseurs de l'écologie politique en France. Quelques semaines avant de se donner la mort avec la compagne de sa vie, Dorine, celle à qui cette Lettre à D. est adressée, il éprouve le remords d'avoir parlé d'elle en des termes injustes dans un des livres qui lui ont valu une certaine renommée "Le traître". Dans ce livre, Gorz justifie le fait que l'engagement d'un intellectuel dans le "sens de l'histoire" (comme on disait alors dans les années 50) peut l'amener à se trahir soi-même (selon la thèse, alors en vogue à St Germain des Près, que "le collectif est tout" et "l'individuel est petit-bourgeois donc haïssable"). En l'occurrence, c'est plutôt sa femme que G. aurait trahi dans ce livre (trop bien nommé, hélàs !), en rabaissant leur amour, en en faisant quelque chose de frivole et de contingent alors que, comme ce livre tente de nous le montrer cet amour était pour lui absolument necessaire.
Cette lettre retrace donc le rôle capital, indispensable qu'a joué D. dans la vie de G., jusqu'au moment où une maladie incurable va atteindre D. et la faire souffrir durant des années. Même cette maladie aura une incidence importante sur l'intinéraire intellectuel de G. puisqu'elle sera une des sources de son engagement contre le productivisme, et aussi l'hypertrophie technologique et notamment médicale, décrite par Ivan Illich dans son livre "Nemesis Médicale".
Ce livre est aussi un livre sur l'impuissance à mener toutes les choses qu'on aimerait faire de son vivant, sur la sagesse qu'il y a à se contenter du peu que l'on peut faire ici (cet "ici" qui n'est pas si "bas" que ça).
C'est un livre de modestie qui tente de renouer avec l'essentiel, et cet amour était pour lui l'essentiel puisqu'il lui garantissait aussi sa liberté d'écrire. Sans que la morale soit écrite, on ressent dans ce texte un desaveu des thèses sartriennes dont s'inspirait ses premiers écrits (dont "Le traître") : une thèse aussi séduisante soit-elle qui amènerait à trahir l'amour de sa vie n'est sûrement pas si bonne que cela et elle mérite sûrement d'être reconsidérée.
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