Gilbert OUY: "[...] sans doute le plus remarquable traité jamais consacré à l'amour des livres et aux soins qu'ils requièrent. Le savant évêque de Durham, qui avait fréquenté Pétrarque en Avignon, écrivait un latin fort élégant, il possédait l'art de dire avec humour des choses sérieuses; mais surtout, il avait une longue expérience des livres, et ses mises en garde - notamment contre les mauvaises habitudes de trop de lecteurs - pourraient, de nos jours encore, être lues avec profit par les bibliothécaires débutants".
Balzac (sur l'auteur): "homme de son temps, mais meilleur que son temps".
Ce petit "traité" (aujourd'hui nous dirions sans doute "essai apologétique") sur la bibliophilie, datant de mi-XIVe siècle, me semble surtout intéressant non pour son actualité, mais parce qu'il se pose la problématique de la modernité de son temps par rapport à la lecture, à l'écriture et en général à la culture. Il pose la problématique et y répond mal: car son auteur, à la fin de sa vie, ne se rend pas compte de combien sa démarche a été moderne, ni de combien certains de ses contemporains sont eux aussi en rupture avec le passé.
Sur la lecture d'abord: tout l'ouvrage et en particulier les chapitres les plus "autobiographiques" ne sont qu'une auto-justification, contre d'hypothétiques détracteurs, de sa passion immodérée pour la constitution d'une immense bibliothèque. Etait-ce encore de son temps que de voir la bibliophilie calomniée, ses acolytes accusés de "vaine curiosité, [...] de cupidité à leur égard seulement [des livres], d'une apparence de vanité, d'une intempérance de plaisir pour les lettres." ? Certes, la fortune qu'a dû lui coûter sa passion était très peu "monacale", mais dans le fond le personnage était beaucoup plus un conseiller du prince qu'un homme de foi (tout en étant un homme d'Eglise); et de toute façon il est mort couvert de dettes et obligé de se séparer d'une partie de sa bibliothèque.
Sur l'écriture ensuite: son texte est une sorte de "disputatio" typique des auteurs latins, marquée par "le goût naturel de Richard de Bury pour la scolastique et la patristique [... au style] parfois pompeux, ampoulé, alambiqué, plus exactement déclamatoire à outrance". Il écrit, en somme, non en humaniste mais en scolastique: rares sont les phrases "de son cru"; tout est citation des Autorités: de la Bible, des Pères de l'Eglise, des philosophes grecs (Aristote partout!), des orateurs romains, simplement juxstaposés en succession ininterrompue.
Sur la culture enfin: il hérite des siècles de son passé médiéval récent le suprême dédain pour ses cotemporains, et la vénération outrancière pour les Anciens. Son activité de bibliophile s'exerce surtout dans la recherche de manuscrits anciens, oubliés dans les "armaria" des monastères d'Europe, qui lui apportent encore des textes oubliés de l'Antiquité; mais ne se rend-il compte qu'à moitié que ses "collègues" des universités de l'Europe entière sont en train de mener exactement la même recherche que lui? N'aurait-il pas d'intérêt à avouer qu'il se penche aussi sur leurs recherches au lieu de couvrir d'insultes les mauvais clercs de son temps?
Enfin un vieil homme, qui, comme tous, à toute époque, vitupère sur le présent et tourne son regard vers un passé mytique, l'Antiquité, où forcément tout allait toujours mieux...!
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