Lettres
présentées par Pierre Daix
Editions Ides et Calendes
C'est un petit recueil de lettres qui parlent pour la plupart de son art, de ce qu'il recherche, de ce qu'il peine à trouver. Adressées à des amis, à sa soeur, à d'autres peintres, et de nombreuses au poète
René Char.
Dans ce livre, et entre les lettres, de nombreuses reproductions de dessins et lithographies .
J'ai choisi deux lettres, l'une qui suit la mort de son épouse, Jeannine, l'autre adressée au poète Pierre Lecuire.
A Madame Guillou, mère de Jeannine
Paris, mars 1946
A deux heures quarante-cinq du matin Jeannine est morte le 27 février 1946 , des suites d'une intervention du chef de clinique de Baudelocque pour lui enlever un fil qu'elle était résignée à ne pas garder.
Je ne puis vous écrire autrement.
J'ai pu acheter un terrain de quatre mètres à l'entrée Nord du cimetière de Montrouge avec une concession à perpétuité.
Le 4 mars après l'avoir habillée de tout ce qu'elle aimait porter nous avons fermé le cercueil, son fils et moi, devant la petite Anne et le plus grand des peintres vivants de ce monde ( Georges Braque)
Au cimetière il neigeait.
Je vous remercie d'avoir un jour donné la vie à un être qui m'a tout donné et me donne chaque jour encore.
Ne vous inquiétez pas pour ses enfants, ils sont tous-deux au delà de vos possibilités d'inquiétude.
Le cimetière étant une chose d'argent, les conventions qui régissent la vie n'y ont aucun droit mais le délai de divorce n'étant pas expiré c'est exactement comme si on n'avait rien fait.
Ne pensez pas que les êtres qui mordent la vie avec autant de feu dans le coeur s'en vont sans laisser d'empreinte.
Votre seule raison d'être est d'être sa mère et pour ma part je serai bien content de pouvoir mourir dans une telle densité.
Il n'y a pas un homme dont l'esprit ou le travail illuminent ce monde qui ne l'ait saluée selon sa grandeur.
Nicolas
A Pierre Lecuire
Lagnes, 28 octobre 1953
Cher Lecuire,
Quel déménagement sans fin,votre lettre, ponctuée de précision. La batterie fait tout en sourdine très juste. Que de feu pour la petite cathare.
Il n'est pas difficile d'imaginer un chant très détaché au centre de tout ce qui touche à Sophocle du début à la fin, mais de fait, on l'entend, ce chant, un peu partout.
Le drame est que la sensibilité tue la sensibilité plus que chaque vague celle qui la précède, qu'il fasse un temps très clair ou la brume extrême où je me sens. Il est toujours plus facile de croire que je suis l'autre. Pourtant celui qui m'empêche de me tuer en toute profession fait ce qu'il a devant lui en absent. Et cela souvent d'une façon immédiate.
Peut-être ce n'est que prose, mais que voulez vous, le ton confidentiel n'est valable que lorsqu'il a la grande voix des oracles.
La pureté est un instant atroce, qu'on le dise ou pas, à quelque degré que ce soit pour celui qui la donne.
Mais je ne continue pas, ici. Merci mille fois pour la morale des arbres aux Taillades et les kilomètres de marchands en guise de poteaux.
Travaillez sans relâche, le reste est loin.
Je vous serre bien cordialement la main.
Staël
Travaillez, Pierre.
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