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[Désirer autrement | Alain Héril]
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Posté: Hier, à 16:22
MessageSujet du message: [Désirer autrement | Alain Héril]
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Lorsqu'une catégorie est nouvellement introduite dans le lexique des orientations sexuelles, déjà pléthorique grâce au mouvement queer, comme c'est le cas de l'asexualité, il est sans doute nécessaire d'abord de consacrer un certain effort sémantique pour la définir en creux, pour délimiter le champ de sa signification de ce qu'elle n'est pas. Cela m'a semblé d'autant plus évident que j'ai déjà lu quelques ouvrages, souvent des témoignages des femmes abstinentes lors de la rédaction du livre, qui étaient rangés à tort – par titres, sous-titres ou autres classifications – dans la catégorie de l'asexualité.
Dans une démarche de clarification dont le postulat principal est pourtant la multiplicité des formes d'asexualité, le sexothérapeute psychanalyste auteur de cet essai procède principalement à un tel débroussaillage sémantique. L'absence de désir sexuel pour toute personne de sexe opposée ou même, ce n'est pas l'abstinence sexuelle, souvent issue d'une précédente addiction, ce n'est pas l'anaphrodisie (anciennement dénommée 'frigidité' et porteuse de connotations morales et pathologiques), ce n'est pas nécessairement un dégoût de la sexualité éventuellement conséquence d'un stress post-traumatique, pas plus qu'un effet éventuel de l'andropause et de la ménopause, ni une forme de sublimation, ni même un effet secondaire de quelque maladie physiologique (diabète, pathologie cardio-vasculaire) ou psychique (dépression). C'est une forme autre du désir, une déclinaison inhabituelle mais non inconcevable de la libido, dès sa première théorisation freudienne. Pourtant, la variété des formes d'asexualité dont les personnes intéressées interrogées, au nombre de 400, par un questionnaire très rudimentaire (reproduit en fin d'ouvrage), se réclament, comporte toute une nomenclature compliquée et un peu barbare qui est reportée dès les premières pages, rappelée opportunément dans un glossaire : aromantisme (absence de sentiments amoureux), cupiosexualité (souhait de ressentir une attirance sexuelle cependant non éprouvée), grey-sexualité (« zone grise où le désir est comme en suspens »), akoisexualité (disparition de l'attirance sexuelle dès qu'il y a réciprocité), aceflux (attirance par intermittence), apothicosexualité (« répulsion pour la sexualité »), parmi d'autres. J'ai ressenti dans ce catalogage la démarche typique de la communauté LGBTQ+ qui consiste à mettre en exergue la singularité du ressenti de chacun dans un but d'ontologisation par nomination. Peut-être s'agit-il d'une première phase nécessaire dans la constitution d'un savoir politiquement revendicatif ou contestataire...
Que la revendication de l'asexualité soit un défi explicite contre le patriarcat et l'hétéronormativité fondée sur la performance sexuelle et la masculinité pénétrative, c'est une évidence. Qu'elle se pose de façon extrêmement périphérique voire parfois contradictoire vis-à-vis de la plupart des courants du féminisme est également facile à comprendre. En réalité, j'ai pu réfléchir à ces aspects davantage par la vision du magistral film lituanien intitulé _Slow_, écrit et réalisé par Marija Kavtaradze et sorti en 2023 que dans ce livre où les résultats des entretiens prennent le pas sur une réflexion théorique – psychanalytique, ou sociologique ou philosophique – qui s'avère hélas véritablement modeste dans les chapitres respectifs.
Les témoignages suffisent à montrer les incompréhensions et les difficultés à s'accepter et à se faire accepter individuellement en tant qu'asexuels, certes, mais tout l'aspect de la dialectique conflictuelle entre les injonctions patriarcales et la pratique du couple asexuel est étonnement absent dans le livre, dont le souci principal est de faire preuve d'empathie, d'estime voire même d'une certaine forme d'admiration à l'adresse des personnes consultées. De même, si une déclaration de compatibilité de l'asexualité avec la théorisation freudienne est faite, il n'apparaît aucune argumentation qui aurait pour but d'infirmer les opinions contraires soutenues (sans doute majoritairement) dans le milieu psychanalytique. Enfin, de la part d'une thérapeute, on ne peut qu'être stupéfait de l'absence de toute référence à des problématiques de conflit intrapsychique, qui doivent certainement entraîner des conséquences cliniques chez des asexuels qui ont pourtant dû aller en consultation chez le professionnel. La volonté d'exclure la pathologisation de l'asexualité ne me semble pas incompatible avec la présence d'autres problématiques qui en seraient conséquentes ou concomitantes.



Cit. :


1. « Emma fait précisément la différence entre érotisme et génitalité – comme peuvent le faire de nombreuses personnes asexuelles. Il semblerait que la qualité du lien est largement supérieure à la quantité accumulative proposée par la sexualité directe. Cela va, une fois de plus, dans le sens d'une recherche désirante autre, qui ne réagirait pas selon les canons d'une sexualité pénétrative et normée.
Lorsque Emma parle de shibari voire de tango, on peut sentir un besoin de quelque chose de subtil, de "connecté" (pour reprendre son terme). C'est une épure qui se recherche constamment, consciemment ou non. Cette épure est la marque même d'une délicatesse du lien amoureux, mais également d'une subtile alchimie dans le lien sexualisé. » (p. 52)

2. « Les fluctuations de désir et de comportements interrogent. Mais ils font partie de l'asexualité même. C'est une manière de vivre son désir que nous devons admettre comme non fixée. Le besoin de catégoriser est en effet inhérent à nos fonctionnements. Il nous rassure et permet de classifier les modalités d'action de l'autre et de déterminer au mieux nos réactions et nos ressentis. Dès lors que tout cela change et se modifie, il s'installe comme un flou désagréable, qui nous amène à réfléchir autrement et à admettre que rien n'est définitivement posé ou acquis. C'est accepter de ne pas avoir le contrôle et d'entrer dans un monde, certes incertain, mais profondément créatif et mouvant.
Donc, à quoi sert la sexualité ? Il me semble évident de répondre qu'au-delà de la seule nécessité procréatrice nous n'en avons pas un besoin fondamental, tout au moins dans le sens génital du terme. On peut se découvrir soi-même hors de la masturbation, tout comme on peut rencontrer l'autre sans passer par la dimension sexuelle. Il y a quelques années, j'aurais ajouté que la rencontre sans sexualité est un appauvrissement du lien. Mais mes discussions et ma découverte de l'asexualité m'amènent à reconsidérer les choses et à ne plus les regarder d'un point de vue sexuel mais d'un point de vue désirant. » (pp. 59-60)

3. « De nombreux couples se rencontrent à partir d'un attrait érotique exercé de l'un vers l'autre, ce qui amène à confirmer ce lien par la rencontre sexuelle. C'est à partir de ce moment que peut se construire un engagement relationnel. Les couples asexuels ne fonctionnent pas selon ce modèle. Ils entrent en relation et confirment le couple selon des modalités non directement sexuelles.
[…]
La première construction du lien se fait principalement par la tendresse. Ce n'est pas l'attrait érotique qui va venir sanctifier la relation, mais un lien plus ténu voire indicible, qui est frappé du sceau d'une tendresse particulière. On peut même remarquer que dans le mot tendresse il y a le verbe 'tendre', comme si elle consistait à 'tendre vers quelqu'un'. » (pp. 67-68)

4. « L'asexualité masculine vient donc proposer une revisite du musée des masculinités et tenter d'apporter une autre forme de virilité, peut-être plus douce, moins prédatrice et, dans tous les cas, plus à l'écoute de ses besoins et des besoins de l'autre.
[…] Un homme asexuel ne se résume plus à l'identité pénétrative masculine. C'est un changement de paradigme considérable, qui déplace la vision du masculin d'une posture pénétrante à une posture intériorisée. Pour certains c'est une féminisation de l'homme insupportable, mais pour d'autres c'est une remise à égalité des désirs et une déconstruction majeure des diktats sociétaux concernant la sexualité humaine, hétérosexuelle ou non.
[…]
Ce qui semble émerger des combats féministes, c'est la revendication d'une pluralité des sexualités féminines. Au-delà de la reconnaissance d'une sexualité féminine qui se construit sur la puissance voire la "saine sauvagerie" […] les femmes revendiquent aussi le droit d'une asexualité qui ne soit pas taxée d'emblée comme pathologique. En fait, de nombreuses femmes revendiquent la possibilité de choisir, d'être libres de se tromper et de se tromper encore, de ne pas avoir de comptes à rendre à une quelconque hiérarchie, que celle-ci soit patriarcale ou pseudo-féministe. » (pp. 92-94)

5. « Chez la plupart des personnes abstinentes on retrouve en amont des formes addictives qui ont influencé la décision. En ce qui concerne l'abstinence sexuelle, des addictions à la pornographie ou des situations de mise en danger liées à la sexualité ont souvent pu amener à un changement de comportement. L'abstinent porte en lui une volonté de s'éloigner de ce qui faisait sa vie autrefois. Il met en place de nombreuses stratégies d'évitement avec souvent une épée de Damoclès au-dessus de sa tête : cela pourrait reprendre et l'enfer auquel on tente d'échapper pourrait de nouveau réclamer ses droits ! » (p. 120)

6. « Sigmund Freud a proposé dans plusieurs articles autour de la vie amoureuse de scinder la dimension sexuelle en deux courants : le courant tendre et le courant sensuel.
[…] Pour Freud, l'amour se construit dans une recherche constante d'un lien entre ces deux courants. Et ce lien se tisse dès l'enfance dans les rapports d'attachement de l'enfant aux parents et à l'environnement.
[…]
Sigmund Freud n'avait pas une vision restrictive voire dépréciative du courant tendre. Il le voyait comme une forme de rapport à l'autre contenant ses propres préceptes. D'ailleurs, il reconnaissait à l'affection (la tendresse) une appartenance à l'éros (la pulsion de vie) et une participation à la construction du narcissisme. » (pp. 181-183)

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