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[Afropea | Léonora Miano]
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Posté: Mer 13 Aoû 2025 4:48
MessageSujet du message: [Afropea | Léonora Miano]
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Léonora Miano est une écrivaine de renom, non une politologue : elle n'a pas dans cet ouvrage l'ambition de réaliser un travail scientifique avec toute la rigueur méthodologique requise. Pourtant, en intellectuelle engagée, elle pose d'abord trois constats fondamentaux : 1. Qu'il existe une différence identitaire d'une grande importance entre ceux qu'elle appelle les Subsahariens, qu'ils résident dans un pays d'Afrique ou dans un pays de migration d'une part, et leurs descendants nés ou ayant grandi en situation de minorité en Europe, qu'elle nomme les Afropéens d'autre part. 2. Que l'occidentalisme est un fléau systémique qui s'est abattu sur les Africains, en les dépossédant de leur identité avant même que de leur liberté, de leurs territoires et de leurs ressources, sous les diverses formes successives de l'esclavage, du colonialisme, et d'un racisme qui, après avoir créé les notions de Noirs/Blancs, s'exprime désormais par un rêve de « pureté ethnique » chez les suprémacistes et un surinvestissement revanchard de la « race noire » par les Afrodescendants. 3. Que les Afropéens sont à même, de par leur spécificité identitaire fondée sur une appartenance multiple, de réinventer une relation entre la nouvelle Europe reconnaissant « la part de l'autre en soi » et une Afrique renouvelée qui sache s'émanciper politiquement et économiquement d'elle, relation enfin équitable et fraternelle qui dépasse l'occidentalisme en réfutant la domination et l'impérialisme.
Dans une scansion comportant : un préambule, une « Brève histoire du mot » 'Afropea' qui tire son origine de l'univers musical, une « Urgence française » dénonçant les périls de notre version nationale du suprémacisme blanc, « Une pensée post-occidentale » qui pose en longueur un système de domination qui ici se concentre sur la France et le continent africain, « Refonder l'africanité » conçu comme la tâche qui incombe à « Afropea », « Panafropea » qui en constitue la suite, et enfin « Pour l'heure, une utopie », cet ouvrage qui porte le sous-titre « Utopie post-occidentale et post-raciste » se compose beaucoup plus d'une dénonciation de la situation actuelle que d'une utopie à proprement parler. En mêlant ses observations et son histoire personnelles à des constats et à des revendications parfois très véhémentes, l'autrice offre certaines idées brillantes qui émergent cependant d'un discours dont la construction échappe souvent et la rigueur dérape par moments. En particulier, il est discutable de qualifier d'occidentalité un ode de domination politique qui d'une part dépasse très certainement l'Occident et, lequel d'autre part, ne saurait être considéré comme un bloc monolithique dans l'ensemble de son histoire, faisant fi de toute dimension dialectique. On ne peut qu'être ému par la générosité de la proposition politique, et convaincu de son bien-fondé, mais ce qui semble le plus utopique, à mon sens, ce n'est pas tant « l'horizon de réconciliation » recommandé, que la motivation des Afropéens à se charger de la tâche qui leur est ici assignée et naturellement la volonté de la majorité de leur donner le pouvoir de l'accomplir, à commencer par leur concéder l'écoute...



Cit. :


1. « […] j'ai donné naissance à une enfant en France. Ma fille est aujourd'hui une jeune femme si française que la Subsaharienne en moi ne peut s'empêcher parfois de la trouver exotique. Comme de nombreux parents venus du continent africain, je peux témoigner de la manière dont il nous semble parfois que nos enfants nous échappent sans qu'il soit certain que des bras aimants les rattrapent au vol. Peut-être est-ce le lot de tous les parents.
En France, nous sommes hors sol, privés de notre entourage familial ou communautaire la plupart du temps. Nos noms ne signifient rien dans le pays. Nos généalogies y sont abolies. Cela est ressenti avec plus d'intensité lorsque, pour diverses raisons, vivre en France confronte au déclassement. Ce fut le cas pour beaucoup parmi nous, petits bourgeois venus d'Afrique centrale au début des années 90, alors que la dévaluation du franc CFA brutalisait nos familles. Les chutes furent parfois rudes et, pour les enfants envoyés à l'étranger, ce fut l'apprentissage d'un mode de vie auparavant inenvisageable. Tous ne s'en remirent pas. Le nanti ou supposé tel n'a de communauté que pour lui apporter son soutien. Il est celui à qui l'on vient demander de l'aide et qui ne devra rien attendre en retour. Ceux de sa caste lui tourneront le dos parce que la fréquentation du malheur expose à la contagion, parce que les temps ont changé et que chacun souhaite dissimuler ses difficultés.
Déclassé, son individualité gommée par la racialisation, le Subsaharien issu d'une classe jadis favorisée ne se fondra pas pour autant dans la population afropéenne. Sa différence créera un éloignement compliquant la reconnaissance. Il fera partie d'une minorité dans la minorité, sa présence sera trop singulière pour être pleinement adoptée. » (pp. 19-20)

2. « Les institutions internationales affichent une structure occidentale. Leur fonctionnement n'emprunte pas aux différentes sensibilités de leurs membres. L'unique concession faite à cette diversité est l'emploi d'interprètes et de traducteurs, ce qui ne s'adresse pas aux Subsahariens, leurs langues ancestrales n'étant pas concernées. Les textes législatifs internationaux n'ont pas puisé dans les différentes conceptions de la justice que se sont données les sociétés humaines, et nul ne s'interroge sur ce qu'aurait produit une mise en commun de pratiques, de savoirs. » (p. 32)

3. « Devant l'histoire des conquêtes coloniales et de l'esclavage, il n'y a plus de citoyen du monde, plus d'humanité universelle. Ne restent que la fabrique de la race, ses motivations et les gains que l'on fait fructifier en bon rentier de l'occidentalité. C'est ce qui rend tellement intolérable l'évocation de cette histoire, une culpabilité se rapportant surtout à un héritage symbolique et matériel auquel il n'est pas question de renoncer pour fraterniser, c'est-à-dire commencer par rendre justice. D'ailleurs, on estime l'avoir déjà fait, puisque l'esclavage a été aboli, acte par lequel la France se serait rédimée. Cependant, les abolitions de l'esclavage sont au premier chef l'aboutissement des luttes constantes des opprimés, ce que le discours français a encore trop tendance à éluder. De plus, l'argument révèle sa malhonnêteté lorsque l'on s'aperçoit que l'esclavage fut aboli en raison du projet que l'on avait de coloniser l'Afrique où l'on mettrait les populations au travail, y compris sous la contrainte. C'est en 1946 que la France abolira le travail forcé dans ses colonies d'Afrique de l'Ouest. Un siècle exactement après la deuxième abolition de l'esclavage, celle de 1848, censée avoir lavé la France de ses péchés. » (pp. 42-43)

4. « […] Pour qui souhaite dominer sur la longue durée, la violence seule – physique, psychologique – ne suffit pas. Pour faire de l'entreprise un succès, il faut aussi prendre possession des esprits, infiltrer la culture. Amener l'agressé à collaborer activement à son malheur. C'est dans ce but que l'on crée une élite proche de soi, éduquée à l'école coloniale. On lui donne du travail, une place enviée de la masse. Par le confort dont ils jouiront, le mode de vie qu'ils adopteront, les bourgeois colonisés promouvront la culture coloniale. Ils ne vivront que pour ressembler à leurs maîtres. L'ardeur qu'ils y mettront sera solidaire des efforts du colonisateur pour fabriquer chez tous le désir de la France. » (p. 52)

5. « L'idée que l'africanité soit le fait de l'occidentalisation fort heureusement inaboutie de l'espace subsaharien est sans doute perturbante pour un grand nombre. Les termes 'Afrique' et 'Africain' eux-mêmes font l'objet de peu d'interrogation, dans un environnement où, pour des raisons historiques et factuelles, la réflexion portée sur soi ne concerne qu'une frange marginale de la population. […] Jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, [le mot 'Africain'] désigne soit l'Européen établi sur le continent, soit l'autochtone de sa partie septentrionale. C'est plus tard que le mot acquerra le sens que nous lui connaissons. Cela répondra au besoin de distinguer les Subsahariens des Antillais, les deux groupes se retrouvant sur le territoire européen de la France. La sémantique évoluera aussi pour éviter de recourir au langage racial. Il n'en demeure pas moins que : 'Africain', à l'origine, cela n'a rien à voir avec ceux qui, aujourd'hui, s'honorent de cette appellation sans se l'être appropriée. » (pp. 153-154)

6. « Afrique ne dit pas l'interdit de la haine, l'aptitude à distinguer le frère du criminel : l'un vint connaître et se trouver, l'autre ne vint que prendre et fomenter sa propre perte. Afrique ne dit pas combien le simple fait d'exister, de vivre, d'aimer, de créer là, au cœur du marasme de la dépossession et des avanies sans fin, est un témoignage de grandeur. Afrique ne dit pas que l'héroïsme, le seul qui vaille, a le visage de ceux que l'on entendait vouer à l'impuissance et qui soutirent au malheur la joie d'être en vie. Ceux dont le rire est pudeur et élégance. Ceux qui enjambent à toute vitesse les âges que tant de peuples traversèrent à pas pesants et au prix de carnages sans nom. Afrique, pour l'heure, ne peut rien dire de nous. » (p. 155)

7. « La forme la plus nocive de cette aliénation qui contrarie l'avancée des Subsahariens se traduit par le crédit que l'on accorde encore au discours occidental, à ses préconisations. Pour infléchir cette tendance, retrouver sa voie et sa voix propres, il importe de faire désormais la sourde oreille aux sommations, d'ignorer les mises en demeure, de laisser glisser sur soi les déplorations selon lesquelles l'Afrique serait en retard. Se rendre insensible aux émois feints qui la dépeignent comme le problème principal de l'humanité. Réviser les accords internationaux qui désavantagent les populations, ne pas hésiter à se retirer de certaines instances si nécessaire. Cela n'est possible qu'en rompant avec l'isolement, en acceptant de se fréquenter davantage entre peuples du continent, en mettant en place des synergies, en tenant rigoureusement le cap. Les petits États fabriqués par les conquêtes coloniales ne peuvent affronter les assauts de l'étranger. Des formations panafricanistes le pourraient. Elles n'auraient pas à se fonder sur le stigmate racial, ni sur la supposée fraternité identitaire de tous dans l'espace subsaharien. Condamné par son inaptitude à prendre en compte les réalités subsahariennes, ce panafricanisme-là, émotionnel et racialiste, restera pour longtemps encore une fiction. Le seul qui puisse avoir une chance de prospérer devra se fonder sur l'intérêt bien compris des populations, avoir conscience de l'ampleur d'une tâche consistant à mettre en dialogue, dans l'espace humain le plus vaste de la planète, une multiplicité de cultures singulières. » (pp. 165-166)

8. « Afropea, dont le nom interdit que l'on achoppe sur les pierres que sont la mythification de l'Afrique, l'assuétude au ressentiment et le malaise identitaire, a la faculté de se projeter dans les possibles du continent. C'est sur son territoire, en Europe, qu'elle refonde l'africanité afin de manifester la part subsaharienne de son identité. En effet, s'il incombe aux Subsahariens de forger le contenu de leur africanité, de lui donner un sens et une direction, c'est dans ce qui est encore la matrice de l'occidentalité qu'Afropea tâche d'en faire vivre des modalités différentes. Pour réaliser cela, il faut exposer la sensibilité subsaharienne de la nouvelle Europe. Il ne s'agit plus de restreindre cette composante à une fonction protestataire, mais de s'en nourrir afin de transformer la société. Il convient de faire vivre la dimension non européenne d'Afropea, de faire en sorte qu'elle s'inscrive de manière décomplexée dans son espace de référence. Puisque l'on est chez soi en Europe, il n'y a pas de raison de reléguer à la sphère intime une part essentielle de soi, d'autant qu'elle est bénéfique pour la société. » (p. 166)

9. « Cela a déjà été souligné, il n'existe pas, en France, de corpus littéraire afropéen. Il est fort peu probable que la cause soit un analphabétisme généralisé. Après m'être entendu dire, par mon premier éditeur, que les personnages afropéens n'étaient pas universels – les Subsahariens l'étaient pourtant –, qu'ils n'existaient même pas et que continuer à en créer nuirait à ma carrière d'auteur international, j'avoue soupçonner la profession de ne pas faire de place à ces textes lorsqu'ils lui parviennent. Parce que l'idée que l'on se fait des personnes d'ascendance subsaharienne les renvoie à une extranéité de fait, il est exigé que leur propos ait à voir avec des ailleurs. Ils peuvent avoir passé toute leur vie en France, leur proposition littéraire sera toujours mieux reçue s'ils racontent des vacances passées dans un village sahélien, auprès d'une grand-mère dont la cabane ne dispose pas de sanitaires. Ce serait encore mieux qu'ils aient connu la guerre enfant, gagné pour cette raison une France salvatrice, et que le sujet de l'histoire ne soit pas l'arrivée dans l'Hexagone, mais des réminiscences du paradis subsaharien d'avant la tourmente.
Les auteurs subsahariens sont mieux reconnus en France que ne le sont les Afrodescendants […]. Cependant, le mutisme imposé à l'afrodescendance européenne devrait interpeller. C'est aussi parce que cette présence afropéenne est rendue inaudible, parce qu'elle ne peut pas se dire, qu'elle est considérée comme ne faisant pas partie du roman national. La France se connaît à travers sa littérature. Celle-ci est à la fois son miroir et son testament. » (pp. 205-206)

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