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[Les Héroïnes de la modernité | Laurie Laufer]
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Posté: Hier, à 11:30
MessageSujet du message: [Les Héroïnes de la modernité | Laurie Laufer]
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Un certain féminisme bancal ne fait que dénoncer dans la psychanalyse ainsi que dans l'ensemble du discours positiviste, scientiste et psychiatrique concernant les femmes, la transposition du moralisme sexuel et de l'idéologie patriarcale occultés. Ainsi, depuis le corpus freudien jusqu'aux plus récentes prises de position des psychanalystes relatives à la trans-identité, un tel féminisme traque et critique violemment toutes les traces du conservatisme réactionnaire, amplement dépassé non seulement par les théories du genre et la praxis lgbtq, par les mœurs des contemporains dans leur ensemble et bientôt, progressivement, par le législateur.
Or la thèse de ce brillant essai, est que dès le corpus de Freud, la théorie et la pratique psychanalytique ont été façonnées par une articulation (une dialectique ?) entre la conceptualisation d'un processus psychique interne et un contexte et des normes socio-politiques (cf. cit. 2), articulation/dialectique à laquelle ont largement contribué des femmes (cf. cit. 1), à la fois en tant qu'« analysantes », que, assez précocement, comme thérapeutes (cf. Madeleine Pelletier), penseuses, femmes de lettres, témoignant de leur propre condition et créant, par leur discours et par leurs actes, l'antithèse audits moralisme et idéologie patriarcale. L'issue de cette dialectique, comme toujours, est une question de politique, donc de rapports de pouvoir et de domination : il est trop facile d'en anticiper l'issue et de dénoncer la discipline et la science tout entière. Puisque en même temps, la possibilité existe toujours aussi d'envisager une psychanalyse matérialiste qui puisse relire et redonner du poids à ces paroles dissidentes et révolutionnaires de femmes qui ont écrit et parlé de liberté et d'émancipation.
Précisons d'emblée que ces dissidentes se sont faites les représentantes des « mauvaises filles », des opposantes à l'éducation de « la-jeune-fille » et à la maternité, des prostituées, des lesbiennes, des rétives à l'assignation au genre : hermaphrodites, genderfluid et autres partisanes de l'indifférence sexuelle. En effet, leur résistance reste centrée autour de trois axes de domination : la maternité, la sexualité et la féminité (cf. cit. 3). Ainsi, des théoricienne et autrices comme Madeleine Pelletier, Natalie Clifford Barney, Virginia Woolf, Monique Wittig, Grisélidis Réal et quelques autres, auprès de Michel Foucault, quelle qu'ait pu être la réception de leur travail – Madeleine Pelletier fur internée et risqua la peine de mort... –, pour avoir porté un discours d'opposition à la doxa médico-psychanalytique, sont placées ici sur le piédestal des « héroïnes de la modernité ». Ainsi, dans l'étude approfondie des deux aspects de cette dialectique, sans perdre de vue le « devoir-être » d'une telle psychanalyse matérialiste souhaitée, c'est toute une histoire intellectuelle de plus d'un siècle du « sexisme psy » qui est parcourue de façon résolument originale et constructive.



Cit. :


1. « Prendre la parole. Façon de dire que les jeunes femmes hystérisées ont inventé la psychanalyse : Breuer avec Anna O, Janet avec Madeleine, Freud avec Dora, Jung avec Sabina Spielrein, Lacan avec Aimée (Marguerite Anzieu). Jacques Lacan, en 1977, a pu dire lors d'une conférence sur l'hystérie qu'il donnait à Bruxelles : "Où sont-elles passées les hystériques de jadis, ces femmes merveilleuses, les Anna O, les Emmy von N […] ? Elles jouèrent non seulement un certain rôle, un rôle social certain, mais quand Freud se mit à les écouter, ce furent elles qui permirent la naissance de la psychanalyse. C'est de leur écoute que Freud a inauguré un monde entièrement nouveau de relation humaine. Qu'est-ce qui remplace ces symptômes hystériques d'autrefois ? L'hystérie ne s'est-elle pas déplacée dans le champ social ? La loufoquerie psychanalytique ne l'aurait-elle pas remplacée ?" » (p. 19)

2. « Pour Freud, "il nous faut prendre garde de ne pas sous-estimer l'influence des organisations sociales qui acculent également la femme à des situations passives. Tout cela est encore loin d'être tiré au clair […]. La répression de son agressivité, constitutionnellement prescrite et socialement imposée à la femme, favorise le développement de fortes motions masochistes qui parviennent à lier érotiquement les tendances destructrices tournées vers le dedans." [S.F., « La féminité » (1932)]. Cette indication de Freud permet de sortir de la vision d'une psychologie clinique et d'une psychanalyse intrapsychique qui ne se focalisent que sur les processus psychiques internes sans entendre les enjeux des normes sociales et du contexte socioéconomique dans lesquels s'effectue cette répression. Il s'agit, en somme, d'adopter une approche matérialiste. En dépit de ce que les détracteurs de la psychanalyse ont pu écrire, il n'y a pas, chez Freud, l'énoncé d'une naturalité instinctuelle de la femme, mais une tentative d'appréhender les effets subjectifs de la rencontre entre une disposition psychique et un dispositif social. L'articulation entre cette disposition et ce dispositif se ferait-elle par le dispositif discursif, par la mise en discours des femmes, de leurs supposées pathologies ? Car ces discours ont eu et ont des effets sur les corps, sur la matérialité des corps. » (pp. 33-34)

3. « Trois grandes questions restent au cœur des discours et de la doxa psychanalytiques et psychiatriques concernant les femmes, depuis les premières élaborations jusqu'à celles plus récentes et contemporaines : la maternité, la sexualité, la féminité.
Concernant la première, on trouve des écrits attestant la haine des origines dans le refus du maternel. […]
Quant aux sexualités, le saphisme est diagnostiqué déviance sexuelle chez les psychiatres inventeurs de la sexologie ; chez les psychanalystes, l'homosexualité féminine est amour du même et rapport incestueux avec la mère. La prostitution, depuis le médecin légiste, inventeur de la criminologie, Cesare Lombroso, est la marque de la femme criminelle et aujourd'hui le signe d'une perversion.
La féminité, elle, est renvoyée à la question de la différence des sexes et au masochisme féminin. Voici quelques traits rapides qui bornent le territoire des femmes prises dans les discours savants. En dehors de ce bornage, la famille, l'ordre moral, la hiérarchie sociale se voient mis en danger. Aussi les incasables et les marginales se soulèvent-elles, agissant et critiquant les conditions naturalisantes qui sont les leurs.
Qui sont-elles, ces femmes qui ont pris la parole, qui ont permis une certaine liberté et agentivité des corps ? Celles qui ont contraint, d'une certaine façon, les discours psy-chiatriques, psy-chologiques, psy-chanalytiques à s'adapter à elles, parfois même en se les appropriant ? » (pp. 36-37)

4. « Le corps des femmes ne semble avoir qu'un seul destin : la reproduction de l'espèce. Comment nommer les comportements de femmes qui ne correspondent pas à cette destinée, ces femmes qui vivent leur sexualité en dehors de la visée prescrite de maternité ? Victime, criminelle, putain, femme libre, etc. ? Mère ou putain ? Quel serait le tiers exclu de cette binarité proposée par le domaine moral de la sexualité ? Quelle serait la figure en dehors des assignations et des rôles prescrits, la figure d'une femme qui ne serait volontairement ni une mère ni une putain ? Pourquoi l'interruption volontaire de grossesse a-t-elle été un enjeu moral, politique et psychopathologique dès lors qu'il en a été question ? Comment, lors de l'émergence des discours savants sur la sexualité, cette question a-t-elle été abordée alors même que cette pratique était interdite, voire condamnée ? Comment le souhait d'avorter était-il envisagé par les psychiatres, les psychanalystes, et ce tout au long du XXe siècle ?
Concernant ces questions, celle de l'émancipation des femmes et de leur sexualité, la voix de Madeleine Pelletier a encore résonné dès le début du XXe siècle. À ses yeux, le corps des femmes est un "champ de bataille" social, politique, économique, féministe, religieux, psychologique et psychanalytique. Face à la triade "sexualité, maternité, féminité", elle ouvre un champ théorique et pratique pour l'émancipation des femmes. » (pp. 84-85)

5. « Dans une perspective politique qui annonce le matérialisme historique, Madeleine Pelletier fait de la maternité une des causes majeures de l'oppression des femmes.
Lectrice de textes de Freud, féministe, suffragette, Madeleine Pelletier sécularise le corps des femmes : ni dieu, ni maître, ni enfant. Cette position avant-gardiste et révolutionnaire lui vaudra d'être condamnée pour "crime d'avortement" après une dénonciation : pour des raisons de santé, elle ne sera pas emprisonnée, mais internée. C'est le docteur Heuyer, celui-là même qui coécrit avec Daniel Lagache dans le bulletin de psychologie le texte sur l'inadaptation sociale, qui signe son internement […]
Madeleine Pelletier est donc internée en 1939, année de sa mort... et de celle de Freud. » (pp. 99-100)

6. « Le soulèvement des prostituées face aux discours de la morale renverse et minore les excès de signification de la sexualité, du péché de chair chrétien. Non au sexe roi a pu dire Foucault en 1977 au moment de la sortie de son ouvrage _La Volonté de savoir_.
[…]
En quoi une pratique sexuelle donnerait l'indice de la supposée vérité d'un sujet ? Une pente glissante de la sexologie vers la psychanalyse a souvent cours. À la place de cette "sexographie", des prostituées inventent des relations "nomades", comme le dit Grisélidis Réal. Ce nomadisme de la sexualité n'entre dans aucun ordre possible. Il s'agit de renverser les discours sur le crime, le masochisme féminin, la folie morale.
Pourquoi une femme devient-elle prostituée, se sont demandé les psychiatres et les psychopathologues ? Nelly Arcan se pose cette question : "Je me demande souvent ce que mon psychanalyste pense de mon cas, de ma putasserie et de ma laideur, de ma manie d'être ma mère, je ne suis pas certaine qu'il en pense quoi que ce soit d'ailleurs." Si seulement ! Si seulement son psychanalyste, les psychopathologues ne s'étaient rien dit... » (pp. 128-129)

7. « Les théories freudiennes ainsi que celles de Havelock Ellis ont dépsychiatrisé et dépathologisé l'homosexualité et l'ont pensée comme "variation sexuelle". Ils font, tous les deux, rupture avec les théories étiologiques issues de celles de la dégénérescence et des prédispositions naturelles. Même si Havelock Erris reste dans une perspective de description des corps à la Ambroise Tardieu (il décrit les lesbiennes au physique "assez grossier" avec "des muscles toujours durs", qui "donnent au toucher une sensation non féminine"), les lesbiennes lui inspirent peu d'intérêt au plan psychopathologique (serait-ce parce que son épouse était lesbienne?). Albert Moll, quant à lui, se fait phénoménologue et sociologue : "Les tribades aiment danser", "elles fument de gros cigares", etc. L'homosexualité féminine n'est alors pas le centre des préoccupations de ces psychiatres. C'est en 1963 que paraît l'ouvrage sexologique du psychiatre-psychanalyste états-unien Frank Caprio, _L'Homosexualité de la femme_ au sous-titre programmatique : _Psychogenèse, psychopathologie, psychanalyse, clinique, thérapeutique_. » (pp. 170-171)

8. « "Dans l'art érotique, analyse Foucault [in : _Histoire de la sexualité_], la vérité est extraite du plaisir lui-même, pris comme pratique et recueilli comme expérience. […] Notre civilisation, en première approche du moins, n'a pas d'ars erotica. En revanche, elle est la seule, sans doute, à pratiquer une scientia sexualis." Et pourtant, contrairement à ce que dit Foucault, l'ars erotica des lesbiennes existe bien. Il est à remarquer que ces femmes ont promu un certain ars erotica au moment même de l'émergence de la scientia sexualis. Des femmes se soulèvent, ploient sous le poids des conventions, mais résistent.
Cette résistance des Colette, des Suzy Solidor, des Renée Vivien, des Marguerite Radclyffe-Hall, des Virginia Woolf [sans oublier la très citée Natalie Clifford Barney] et de toutes les garçonnes inconnues fabrique une subjectivité qui tord les discours de pouvoir et qui est active à travers les corps et les plaisirs. Ainsi que l'analyse Michel Foucault, "politiquement parlant, l'élément le plus important, peut-être, lorsqu'on examine le pouvoir, est le fait que, selon certaines conceptions antérieurs, 'résister' voulait simplement dire non". Selon lui, la résistance s'est d'abord formulée sous le signe d'une négation, or cette résistance passe aussi par de la création. La résistance [poursuit-il] "n'est pas uniquement une négation : elle est un processus de création ; créer et recréer, transformer la situation, participer activement au processus, c'est cela résister". » (pp. 195-196)

9. « Qu'est-ce que penser hors catégorie sexuelle ? Comment entendre un au-delà de la différence des sexes ? Après les féministes, les lesbiennes, les prostituées,les amoureuses des corps lesbiens, que devient la catégorie "femme" ?
"Ça fait un bail que la catégorie 'femme' pose problème, écrit Christine Aventin [in _Féminispunk_]. Du côté punkqueer de la force, ça fait un bail qu'on a compris que le mot 'femme', chargé de tout ce qu'il contient de colonialité, d'hétéronormativité, de médicalisation des corps, de psychiatrisation des comportements, de réformes légalitaires et de mise au service du patriarcat, ne nous concerne pas." Et dans le même esprit de catalogue, Christine Aventin ajoute : "Femme d'affaires, femme de ménage, femme au foyer, les femmes de couleur, les femmes du Sud, les femmes seules avec enfants, la santé des femmes, l'histoire des femmes, l'Université des femmes, la prison des femmes, la Journée mondiale de la femme, la grève des femmes, la violence des femmes, l'égalité entre hommes et femmes, le Droit des femmes à disposer de leur corps... Qui, franchement, d'entre nous peut se dire femme sans se sentir illico prise au piège biopolitique de la surveillance et de la punition – et complice identitaire des structures d'oppression ?"
Madeleine Pelletier, Monique Wittig, Renée Vivien, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir applaudissent. » (pp. 215-216)

10. « Wittig montre à quel point le langage a des effets sur le corps. Elle écrit : "Il y a des mots qui tuent. Les mots qui tuent sont des mots d'oppression. Et ils ne tuent pas symboliquement. Ils tuent dans la réalité. Ils tuent directement." […] Elle écrit encore : "Employer un mot, l'écrire ou le parler a sur la réalité matérielle un impact, un effet, comparable à celui d'un outil sur un matériau. Un mot agit par sa matérialité : le mot qui écrit touche le lecteur, la parole frappe l'auditeur […]. Nous sommes à ce point des êtres sociaux que même notre physique est transformé (ou plutôt formé) par le discours – par la somme des mots qui s'accumulent en nous."
Une psychanalyse matérialiste serait une psychanalyse attentive aux effets du langage sur les corps produits par les pratiques sociales, technologiques et politiques. Le sujet n'est pas seulement l'effet d'un signifiant, substance pure et transcendante, il y a dans ce signifiant le poids des matériaux sociaux, politiques et historiques. L'inconscient est formé de cette matérialité-là. Le langage et les corps sont une matérialité, ils sont pris dans des enjeux sociaux de pouvoir, de domination, d'oppression. » (pp. 271-272)

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