Pour faire pendant avec le récit autobiographique de Domitilla Courtinant, _Je t'ai cherchée si longtemps_, qui narre la recherche obsessionnelle de sa mère biologique par une jeune fille née sous X, j'ai lu ce roman par l'auteur-compositeur canadien Maxime Landry (que j'ignore), dont le sujet est la recherche acharnée de son père biologique par un jeune homme abandonné à la naissance. Antoine, le narrateur du roman, est un autiste Asperger, raison pour laquelle il n'a été adopté, après de nombreux placements, qu'à l'âge de 7 ans. De son géniteur, il ne possède que l'information qu'il s'agit d'un écrivain renommé. Ainsi, dès l'adolescence, le protagoniste travaille avec une passion démesurée et un zèle stakhanoviste à la Grande Bibliothèque, décidé à identifier son père par des indices que les auteurs hommes d'âge compatible auraient pu laisser dans leurs œuvres d'une paternité non assumée. Au moment du déroulement de l'intrigue, Antoine a 18 ans, ses parents adoptifs l'aident à emménager seul, il jette son dévolu sur un écrivain établi à Paris qui se nomme Didier Bellefeuille, il apprend le décès du père du psychologue qui le suit depuis onze ans et en est disproportionnellement affecté, et surtout sa petite amie, Julie, encore étudiante, lui annonce pendant un repas de famille qu'elle est accidentellement enceinte.
Alors que j'espérais trouver la traque de la filiation dans un jeu de piste par œuvres littéraires interposées, le roman se situe résolument du côté de l'action : les trois tentatives d'Antoine de s'entretenir avec Didier Bellefeuille pour l'interroger sur sa vie privée, qui le mèneront jusqu'à Paris, l'emménagement qui ne donne qu'un aperçu superficiel des relation du héros avec ses parents adoptifs, l'évolution rapide des relations avec le thérapeute dont on se doute qu'elles ont un sens caché dans l'économie de la narration, et naturellement la question de la répétition ou non de l'acte abandonnique du fils qui va naître. Lors du voyage à Paris, se greffe une histoire secondaire de la rencontre manquée entre un père et un fils qui ne se connaissent pas, élément qui peut paraître plutôt redondant.
L'intrigue est menée avec beaucoup d'habileté, le suspens entretenu, la chute n'est pas dépourvue de vraisemblance ; cependant j'ai été déçu par la superficialité avec laquelle les personnages sont décrits, sans épaisseur ni conflits ni contradictions, même pour le héros dont les troubles obsessionnels ne se résument guère qu'à la manie de l'ordre, de la routine et du dénombrement de certains objets dans la rue. Le style est également lisse, linéaire, conforme à ce que j'imagine être la (mauvaise) littérature jeunesse. Et dans le tumulte de l'enchaînement de l'action, il y a donc pléthore d'éléments, dont un absolument pas crédible – l'ouvrage transmis par Bellefeuille comportant la révélation de l'identité du père d'Antoine, corroborée par une lettre reçue avec consigne de la lire seulement une fois l'énigme résolue.
Je ne suis pas familier de la littérature canadienne francophone [soit dit en passant, j'ai apprécié les petites différences de vocabulaire avec le français de France (ex. « rôtie » à la place de « tartine grillée », « horaire » au lieu de « emploi du temps », « tablettes » pour « présentoirs » ?, « téléphone intelligent » pour éviter l'anglicisme !)], mais à la lecture de ce roman, j'ai eu une pensée récurrente, qui, je l'espère, ne sera pas méprise pour du chauvinisme de mauvais aloi : le récit ferait un bon scénario, mais ça donnerait un thriller hollywoodien plutôt qu'un film de Claude Chabrol...
Cit. :
« Aux murs de chaque côté du bureau, elle découvre les centaines de photos des auteurs que j'ai soupçonnés d'être mon père. Elles sont accrochées à l'aide d'une punaise rouge puisque j'ai pu, au fil du temps, écarter toutes les possibilités. Le mur du fond est consacré à Didier Bellefeuille, car il mon dernier espoir. Une cinquantaine de photos de lui s'y trouvent, avec les découpures des différents romans qu'il a écrits et des articles de journaux à son sujet.
- Ça me fait drôle d'être ici avec toi. Normalement, je m'y sens bien, mais pas aujourd'hui.
J'ai l'impression de mettre les pieds pour la première fois sur les lieux d'une secte, d'un temple. Comme si c'était quelqu'un d'autre que moi qui avait fait tout cela.
[…]
- J'aimerais pouvoir te dire que ces recherches m'ont fait du bien, mais ce n'est pas le cas. Et si je laisse tomber, j'aurais l'impression de ne pas être allé au bout de tout ça. Tu as bien dit que tu allais m'accepter tel que je suis, n'est-ce pas ?
Elle baisse les yeux et fixe le sol. Le découragement s'installe sur son visage triste. » (pp. 94-95)
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