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[Passes noires | Giosuè Calaciura]
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apo



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Posté: Lun 10 Fév 2025 16:18
MessageSujet du message: [Passes noires | Giosuè Calaciura]
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Monologue halluciné d'une prostituée africaine échouée dans une ville portuaire de Sicile. Elle raconte des histoires de passes et autres aventures de détresse qui la concernent ainsi que quelques camarades d'infortune, colocataires de « la maison d'Afrique » : l'Amie chère, Cendrillon, la Boiteuse. Le désespoir et une mort violente certaine et imminente parcourent le fil des pages, comme si chacune se savait en sursis ; et la variété des clients : pères de famille en voiture et piétons timorés, policiers en service et détenus en permission, soldats et étudiants désargentés, marchands de fritures et marins sentant fort, enfants gitans grandis prématurément, malgré leur folklore bigarré, ne suffit pas même à extorquer un timide sourire au lecteur. Se mêlent aux récits quelques souvenirs d'enfance et de la Traversée, de même que les lettres pleines de pieux mensonges que l'Amie chère rédige à sa mère pour accompagner l'envoi des dollars attendus. La Sicile se reconnaît en filigrane à la nourriture et à la dévotion, notamment à l'occasion de la procession de la sainte patronne qui finira elle aussi symboliquement décapitée par un câble électrique, la tête auréolée définitivement introuvable...
Le style est très singulier, presque une tentative de monologue intérieur, avec ses phrases souvent très longues, une quasi absence de descriptions et absolument aucune contextualisation, avec quelques tournures qui se répètent comme des litanies, même d'un chapitre à l'autre, des transitions difficiles à suivre qui obligent souvent à des retours pour relecture. Singulier, mais à mon sens pas très convainquant, car plus masculin que féminin, plus italien qu'africain, trop métaphorisé, en dépit du vocabulaire cru, pour remplir le contrat de vraisemblance.



Cit. :


1. « Fernand, c'est toi ? demandait-elle dans la nuit des ruelles où soupirent les bateaux aux amarres. Fernand, c'est toi ? non, c'est Linda et je me fais tringler bouchechatte-vingt-mille aux coins des rues, là où les brigades volantes des flics défilent pour demander des prix spéciaux pour la force publique. Fernand, c'est toi ? non, je suis l'archange Gabriel des tantouzes, comme ça ils me couronnent pendant qu'ils m'enculent à l'arrière des voitures. Fernand, c'est toi ? oui maman, c'est moi, mais elle pensa qu'elle se moquait d'elle, cette blonde qui n'arrivait pas à cacher ses nichons sous son imperméable. Et en regardant mieux entre les mèches sales des cheveux, elle reconnut le regard d'animal d'élevage mis bas pour l'abattoir, et cette même stupeur qui l'interrogeait depuis qu'elle l'avait tiré de force hors de son ventre en le déposant sur la tôle rouillée d'un taxi abandonné, sous le rouge à lèvres elle reconnut le dessin de la bouche qu'elle avait elle-même, avec la toute-puissance des mères, dessiné sur le modèle de la sienne, elle reconnut les grandes oreilles de chien battu ornées de frivoles pendants en forme de larmes, et enfin, comme confirmation, cette odeur de chair nouvelle dans les narines. C'était lui, son fils en vente devenu femme comme elle-même ne l'avait jamais été, gracile et ondoyant sur ses talons aiguilles, fille bien qu'elle l'eût de toutes ses forces désiré garçon car chacun porte entre ses jambes depuis la naissance la forme de l'injustice déjà écrite en majuscules dans le registre de Dieu, elle l'avait voulu garçon en le prévoyant dans les quartiers de lune propitiatoires où il est possible de jeter un coup d’œil sur les cartes du Père éternel, et obstinément elle l'avait enfanté garçon en remerciant pour cette petite chose qu'il avait, délicate comme un germe, et pour les couilles grandes comme une bouée qui le feraient flotter sur toutes les mers inquiètes. Mais non, il avait coulé, comme une femme qui embarquait eau et bites à travers la brèche de son trou du cul qu'il avait lui-même redoublé en se faisant couper les testicules avec l'urgence du naufrage [...] » (pp. 21-22)

2. « Voilà le curé, on s'avertit, le voilà le sauveur, le voilà le prêtre avec ses bobards de la rédemption parce que même Madeleine fut sauvée, il arrive pour nous imposer le signe de croix et nous on fait semblant de ne pas le voir, de ne pas l'entendre, et il se signe lui-même en passant parmi nous et nous nous éloignons en l'obligeant à de longs parcours de pèlerinage de l'une à l'autre, toujours plus loin, distantes, éparpillées, jusqu'au moment où nous l'avons à l'usure et qu'il nous prie, mes filles mes filles approchez-vous, alors par pitié nous acceptons qu'il nous laisse un chapelet entre les mains, il l'égrène en forme de prière et nous suivons en écho sa cantilène de liturgie, notre père, et nous répétons notre père, toi qui es aux cieux, qui es aux cieux, et nous le suivons dans sa messe pendant que les voitures des clients font la queue les unes derrière les autres, attendant elles aussi la fin de la cérémonie le long du trottoir en échangeant un signe de paix, font le signe de croix et règlent d'elles-mêmes l'ordre de passage tandis que nous accueillons la bénédiction, ita missa est, nous laissant le temps de l'amen, allez en paix, amen, quand le prêtre reprend ses chapelets et nous donne rendez-vous à mardi. » (p. 59)

3. « C'était la dernière fellation de la nuit, et le temps manquait pour chercher des ruelles plus commodes et dissimulées. Elle était dressée pour les contorsions d'habitacle, pour se faire mince, se mettre à genoux entre le levier de vitesse et la porte, mais c'est lui qui baissa la fermeture éclair, écarta les jambes et avec sa cuisse enclencha le point mort libérant les roues. Il faisait tellement noir qu'ils n'avaient pas de point de repère, rien pour indiquer qu'ils étaient en train de rouler, de dévaler vers le bout du môle, vers le saut dans l'eau, et ils prirent la suspension de la chute pour le vertige de la fellation rétribuée. Ils pensèrent à une vague énorme de châtiment qui venait de loin comme la gifle de Dieu et aurait submergé les remblais de la digue extérieure, ils pensèrent aux événements atmosphériques de ces latitudes qui bien que féroces et soudains laissent des signes semblables à des caresses, et ils attendaient que passe le pire, que la boursouflure de la vague se tarisse de sa force et par un effet contraire entraîne hors de la fenêtre l'inondation soudaine de la voiture. Mais le vertige se transforma en une dégringolade, une culbute, un bruit sourd humide et suffocant parce qu'ils touchèrent le fond sans lumière des sédiments du port. Lui, il parvint à se libérer de ses mains qui dans la terreur lui serraient la queue anesthésiée par le préservatif, il ouvrit la portière et se laissa porter vers le haut par les lois de la physique vu qu'il ne savait pas où était la surface. Elle ne voulait pas abandonner le zob, elle ne voulait pas qu'il la laisse seule et essayait de se raccrocher à lui parce que c'était le dernier signe de vie, mais elle l'avait perdu et elle l'appelait, merde merde ["cazzo cazzo" – double sens intraduisible, je présume], dans le balbutiement des noyés qui cèdent les dernières gouttes d'oxygène à la mer. » (pp. 88-90)

4. « Ce client-là, il avait envie de se laisser mourir en compagnie la nuit de Noël, je le devinais aux gestes de sa conduite distraite qui n'avait ni but ni itinéraire, il ne savait pas distinguer entre la lumière publique et l'obscurité de l'intimité où s'empressaient déjà les collègues de la première tournée de tapin. […] Nous affrontâmes les virages de la colline avec ses bordels à ciel ouvert, il sa gara au belvédère du néant parce que c'était déjà nuit noire et il se mit à pleurer des larmes longues comme les étoiles filantes des sapins. Je restai à regarder dans la chaleur de la voiture, et plus il pleurait plus je me promettais des variations à la hausse sur le prix, parce que pendant qu'il pleurait le compteur du tapin continuait à tourner. Je regardais vers le bas la ville de Noël, où les clients qui avaient satisfait à leurs devoirs familiaux me cherchaient à la lumière des phares en éclairant les buissons de ronces pour voir si par hasard je ne m'étais pas planquée pour une fellation hâtive, troublant les ombres de la digue intérieure et les coïts debout de mes collègues qui ne s'affolaient pas et sans changer de position faisaient signe vers les faisceaux lumineux qu'elles ne m'avaient pas vue, elle doit être en train de travailler, la garce, et ils continuaient à me chercher de-ci de-là en refaisant à l'envers le chemin qui menait jusqu'à la maison d'Afrique, me confondant avec d'autres collègues, les appelant par mon nom, et finissant par les choisir. Ses pleurs lui coûtèrent une passe bien salée, l'équivalent de six baises sans larmes, sans compter le supplément de Noël. Il solda son débit avec un panettone de représentant de commerce oublié dans le coffre. » (pp. 95-96)

5. « Chère maman, je me porte bien, le travail est dur mais les collègues sont honnêtes, j'appris à écrire cela pour ne pas trahir la constance de mon amie chère, et dans l'enveloppe je joignais moi-même les dollars de ma peine bien qu'il n'y eût pas autre chose à inventer pour bercer d'illusions la mère et ne pas lui dévoiler l'inacceptable vérité de toutes ces bites à la suite qui auraient pu remplir la distance d'ici au marécage, chère maman tu ne m'avais pas avertie du mensonge de la naissance chantée mille fois dans la berceuse comme un narcotique, tu ne m'avais pas prévenue de la certitude de la prostitution, tu ne m'avais pas dit combien il était évanescent le paradis enfantin de la savane réglé seulement par le salut ou par la mort, et toute cette fuite rien que pour nous apercevoir à quel point l'urgence de l'oubli avait pris racine. Nous le découvrîmes par hasard dans ce portefeuille abandonné parmi les détritus de la ruelle des maisons d'Afrique. Et nous le violâmes pour nous amuser, vu qu'il ne contenait plus une lire depuis son propriétaire légitime, et nous nous le repassions de main en main dans l'attente des tours de tapin, il y avait les papiers et les documents attestant que lui, lui justement, qui apparaît sur la photo d'identité, s'appelle Calgero alors qu'on l'avait toutes reconnu comme l'Africain qui faisait l'homme de peine pour le marchand de fruits et légumes et s'appelait Amin, et je suis sûre qu'il a voyagé dans la cale de ma prison flottante, dans le groupe des Marocains silencieux. […] C'était lui, cette face d'Africain impaludé qui avait survécu à tous les commerces de la chair grâce à la prudence camouflée dans la férocité de ses yeux, à sa capacité d'animal du désert de se remplir l'estomac de désirs seulement et d'en tirer substance et sustentation, c'était lui le fantôme marin qui m'avait déflorée dans la nuit d'asphyxie du voyage. » (pp. 136-137)

6. Excipit : « Il est en train de me baiser par-derrière, avec son coude il me pousse en levrette, devant il y a la mer et une lumière suspendue, c'est le bateau de la rédemption qui a largué ses amarres en silence, il navigue clandestin vers les océans, c'est moi qui suis là, à la proue, je me vois, je me reconnais au cul en bosses de chameau, aux nichons dans le corset comme des quartiers de lune, il me transporte dans le noir candide des premiers jours, ailleurs, suivant l'autre trajet de mon destin, guidé par le point cardinal d'une autre boussole, et avec moi tous les animaux des comptines de marécage embarqués dans l'Arche de Noé, sans but, sauvés. Pendant qu'il remplit sa capote, depuis le bateau j'agite la main pour me saluer et depuis ce coffre de voiture je me réponds. »

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