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[Bouddhisme, la loi du silence | Elodie Emery, Wandrille...]
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Posté: Mer 29 Jan 2025 16:08
MessageSujet du message: [Bouddhisme, la loi du silence | Elodie Emery, Wandrille...]
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[Bouddhisme, la loi du silence | Elodie Emery, Wandrille Lanos]

De même que l'actualité révèle l'envergure des abus sexuels perpétrés au sein de l’Église catholique, et qu'une vaste littérature nous a avertis depuis longtemps de toutes manières d'emprises et de circonventions dans les milieux sectaires sous couvert de devoir d'obéissance, de dévotion et de secret vis-à-vis des gourous, de même cette enquête journalistique de grande ampleur et précision dévoile des crimes et maltraitances analogues, perpétrés sur des femmes et des enfants, au sein des centres bouddhistes tibétains établis en Occident, depuis 50 ans, par des maîtres bouddhistes asiatiques ou européens adoubés par le Dalaï lama.
L'analogie des procédés d'emprise, celle de la nature des délits notamment sexuels qui sont ici dénoncés, la duplicité des maîtres spirituels dans l'apparente contradiction entre leurs valeurs affichées et leurs propres comportements et modes de vie, les mécanismes de l'omerta des institutions et des hiérarchies religieuses, et jusqu'aux enjeux financiers qui la déterminent, sont démontrés sans cet ouvrage de façon évidente. Mais l'essai s'ouvre et ne perd jamais de vue un aspect qui, en opposition dialectique avec ces analogies, revêt à mon sens le plus grand intérêt : c'est celui des multiples malentendus qui entourent le bouddhisme tibétain dans sa transposition en Occident. L'Occident, « assis sur un tas d'or mais tourmenté par l'ennui et le manque de sens » (p. 9) s'avère tellement aveuglé sur la nature du bouddhisme qu'il finit pas en oublier la violence, le péril des dérives intégristes passées et présentes, jusques et y compris sur la circonstance qu'il s'agit non d'une philosophie mais bien d'une religion, « avec ses dogmes, ses promesses de salut et ses menaces d'enfer ». Spécifiquement, dans ses a priori positifs, l'Occident s'aveugle depuis quelques décennies dans sa recherche d'une forme de « développement personnel », de « science de l'esprit » au centre de laquelle la méditation et la « pleine conscience » ('mindfulness') trônent en guise de thaumaturgie. De son côté, le bouddhisme tibétain, ultime vestige de la culture d'un peuple exilé et persécuté, cherche dans l'Occident dont il dépend exclusivement contre le géant chinois, un paladin de sa cause politique et une manne financière plus pérenne et substantielle que la tourisme himalayen...
Un cas d'école de malentendu en anthropologie, en somme.
Ce constat excuse-t-il la gravité des crimes ? la personnalité crapuleuse des protagonistes de cette enquête, lamas d'origine tibétaine, immigrés en Occident, ou d'origine occidentale, convertis et sous tutelle spirituelle de maîtres tibétains ? le caractère odieux de ce qui s'apparente, par défaut de dénonciation et par refus de les obliger à assumer ouvertement leurs responsabilités morales et pénales, à de la complicité de la part de personnalités publiques par ailleurs fort estimées et aimées en France telles que le Dalaï lama et Matthieu Ricard ? Certes non.
Et pourtant. Peut-on entièrement discréditer l'hypothèse que la zone d'influence du malentendu ne s'étende pas jusqu'à inclure, au moins pour les maîtres originaires du Tibet vis-à-vis de leurs disciples occidentales, une certaine divergence d'interprétation notamment de la notion de « folle sagesse », une impossibilité d'équivalence des rapports disciples-maîtres, spécifiquement dans le processus d'élection et dans l'unicité vs la pluralité des maîtres, une incompréhension téléologique de l’Éveil (entendu comme une transposition du Salut chrétien) et enfin, oserais-je le dire en dépit de mon féminisme, un malentendu fondamental sur la notion de consentement et sur la prise en considération du désir féminin ?
Il est intéressant, m'a-t-il semblé, de mettre en regard les points de vue de la dénommée Céline dans son témoignage et de Namkha lama (citt. 5 et 6) devant le même événement, qui sera sans doute qualifié de viol aggravé dans un tribunal européen ; nous devons peut-être éthiquement considérer aussi les propos de l'accusé non comme une simple stratégie de défense par le déni des faits, mais comme le reflet d'un raisonnement sensé et tout à fait dissonant avec la logique judiciaire qui nous est propre (depuis si peu...!).
À cet égard, je souhaite conclure en considérant de la même manière l'excipit du livre. Les auteurs font appel à la « compassion », « valeur centrale dans le bouddhisme », en mettant en exergue de façon un peu rhétorique la contradiction qui leur paraît exister entre cette valeur et son application à l'adresse des victimes. Pourtant, si l'on va honnêtement jusqu'au bout de la logique du malentendu, l'on ne peut que s'interroger sur la question de savoir s'il y a identité de compréhension, entre Orient et Occident, des notions à la fois de « compassion » et même de « victime »...



Table [avec appel des cit.]

Introduction

Le bouddhisme tibétain, un 'hit' occidental
Une religion qui ne dit pas son nom
Aux prémices de l'enquête

Chap. 1 – Sogyal Rinpoché, le cas emblématique :

La multinationale du bouddhisme tibétain
« Folle sagesse »
Apothéose
Premier reportage en immersion

Témoignage – Mimi

Chap. 2 – Le Dalaï lama, 40 ans de silence :

La réunion de 1993, l'occasion manquée
Le Dalaï lama, un chef politique avant tout [cit. 1]
Un chef religieux sur un socle fragile
Disgrâce de Sogyal
Rotterdam 2018 : les espoirs des victimes anéantis

Témoignage – Isabel

Chap. 3 – Le bouddhisme tibétain, un fantasme occidental :

Tintin au Tibet
Pop culture
Années 90, le virage scientifique du bouddhisme tibétain
La méditation, remède aux maux de l'humanité
Violence dans le bouddhisme, l'aveuglement de l'Ouest [cit. 2]

Chap. 4 – Les enfants abandonnés de la OKC :

Lama Kunzang, le « lama belge »
Abandonnés par leurs parents
Ignorés par les autorités du bouddhisme tibétain
Un dossier trop « explosif »

Témoignage – Claudia

Chap. 5 – Matthieu Ricard et les « potins de la commère » :

De l'Himalaya au forum économique de Davos
Au disciple, et à lui seul, de dénoncer les abus
Matthieu Ricard et Robert Spatz
Coup de pression [cit. 3]

Témoignage – Justine

Chap. 6 – L'argent : l'ultime verrou [cit. 4] :

Un réseau de vassalité
Machine à cash
Mules
Sur les traces de Spatz à Katmandou

Témoignage – Céline [cit. 5]

Chap. 7 – Une histoire en train de s'écrire :

Namkha, la nouvelle affaire Sogyal ? [cit. 6]
Shambhala, le séisme américain
Vers un timide aggiornamento ?

Épilogue [cit. 7]



Cit. :


1. « Tandis que se déploie le 'soft power' tibétain, les alertes s'accumulent. Une plainte contre Sogyal Rinpoché est déposée aux États-Unis par une victime présumée qui garde l'anonymat. Mais le chef tibétain ne peut pas se permettre de montrer au monde le visage affaibli d'un bouddhisme qui chancelle sous le scandale alors que la cause de son peuple gagne enfin du terrain à l'Ouest.
Après le prix Nobel de la Paix, "le Dalaï lama prend conscience qu'il peut lier les dimensions politique, spirituelle et culturelle, résume le philosophe et sociologue Raphaël Liogier. C'est-à-dire sauver la culture tibétaine grâce au désir spirituel des Occidentaux et utiliser ce désir pour faire pression politiquement sur la Chine". Le chercheur, qui a notamment consacré une biographie au Dalaï lama, souligne la sincérité du leader dans le choix de cette stratégie et précise que le bouddhisme tibétain fait bonne place "au pragmatisme". Si "le Dalaï lama hésite à condamner publiquement les maîtres, c'est parce que ce sont des leaders importants pour les Occidentaux. D'une part, ça risque de discréditer l'ensemble de la cause tibétaine. D'autre part, ça donne du grain à moudre au pouvoir politique chinois qui fonde sa lutte idéologique sur l'idée que le Dalaï lama est un diable avec les apparences de la compassion". La reconnaissance publique de comportements répréhensibles de la part de maîtres spirituels reviendrait donc, pour les Tibétains, à faire le jeu de l'envahisseur chinois. » (pp. 58-59)

2. « [L'anthropologue des religions Lionel Obadia (2020)] a observé à quel point le regard posé par les passants sur une robe de moine bouddhiste est différent de celui posé sur l'habit musulman. "Face au bouddhiste, on a les yeux qui brillent", résume le chercheur. Rien n'altère l'image du bouddhisme, inoffensif et bienveillant par nature, et ce, quelles que soient les nouvelles qui nous parviennent. En 2017, le réalisateur Barbet Schroeder consacrait un documentaire à un moine bouddhiste très influent en Birmanie, Ashin Wirathu, qui décrit les minorités musulmanes rohingyas comme des parasites. Montrant des moines bouddhistes répétant des slogans racistes, soulevant leur robe pour lyncher un homme à terre, le film a provoqué la stupéfaction du public. […] Lionel Obadia se souvient des réactions incrédules : "J'ai été contacté par une journaliste qui tombait des nues. Les morts, les déplacements, tout ça dans un pays bouddhiste : elle découvrait une montagne. Mais les guerres ont marqué l'histoire du bouddhisme, tous les spécialistes le savent." Ou plutôt : seuls les spécialistes le savent. » (pp. 94-95)

3. « Notre entretien avec Matthieu Ricard s'achève dans un climat plus apaisé. [… le 3 février 2021...] Il nous propose d'organiser un nouvel entretien pour lui permettre de compléter sa pensée, et d'exprimer, enfin, sa compassion à l'endroit des victimes. Mais quelques jours plus tard, Matthieu Ricard change d'avis. Les communications qui suivent se font par l'entremise de son avocate, le moine ne répondant plus ni aux appels ni aux courriels.
[…] Début avril 2021, "l'homme le plus heureux du monde" passe à l'attaque. Dans une lettre de quatre pages flanquée de onze annexes, il s'adresse directement à la chaîne Arte, coproductrice de notre film. Il accuse le documentaire de chercher à créer le scandale et de porter des accusations sans fondement. […] Le moine demande enfin à être reçu pour exposer ses arguments en personne et termine sa lettre en ces termes : "Nous espérons que le bon sens prévaudra. Toutefois, si les réalisateurs devaient persister, nous n'aurions pas d'autre choix que de poursuivre les journalistes et la société de production pour diffamation, et Arte pour avoir cautionné des accusations qui ne résistent pas à l'examen le plus élémentaire des faits et de la chronologie. […] Je m'oppose donc à l'exploitation de l'interview et à toute mention de Karuna Shechen et de moi-même, de quelque manière que ce soit." La méditation ne guérit pas de tout, en tout cas pas de la crainte d'une réputation entachée. » (pp. 141-142)

4. « [Ang Kaji Sherpa :] "Historiquement, nos monastères étaient de taille modeste. Ils ne permettaient d'accueillir que les villageois qui habitaient à proximité. Les habitants donnaient une partie de leur récolte aux moines et c'est ainsi qu'ils vivaient." Dans leur fuite, les Tibétains perdent tout. Ils n'emportent avec eux que quelques maigres souvenirs, de précieux textes religieux, des statuettes, des icônes. Quelques appels à l'aide à la communauté internationale, orchestrés par le Dalaï lama depuis Dharamsala en Inde, visent dans un premier temps à une reconnaissance politique du sort du Tibet. Mais sans appui financier, les Tibétains réfugiés comprennent rapidement qu'il leur sera impossible de maintenir leur religion en vie. Le soutien viendra de l'Occident.
Dans les années 60-70, les réfugiés tibétains voient les touristes affluer, arpenter l'Himalaya et fréquenter les temples bouddhistes. "Une fois rentrés chez eux, les Occidentaux ont créé des organisations pour réunir de l'argent. L'objectif était d'aider à la construction ou à l'agrandissement des monastères, commente Kaji Sherpa. Sans eux, tout cela n'aurait pas pris autant d'ampleur."
Peu à peu, les monastères tibétains se rendent donc dépendants de la manne touristique, mais également des fonds levés à leur profit dans les pays industrialisés. Car chacun des centres installés en Europe et aux États-Unis envoie une partie de ses recettes aux monastères asiatiques – il s'agit même d'un argument de poids auprès des néo-disciples ravis de contribuer à la survie de la culture tibétaine. Dès lors, les lamas à la tête de ces centres deviennent dépositaires d'un pouvoir colossal. » (pp. 153-155)

5. « En 2012, je me sépare de mon compagnon. Je suis contactée par une des plus proches disciples du lama qui m'annonce que le maître souhaite me donner "sa Vue et sa Compassion". C'est une occasion unique, une chance incroyable, me dit-elle. Au moment de sonner à la porte ce soir-là, j'ai un instant d'hésitation. Mais je finis par sonner, car on ne manque pas un rendez-vous avec Namkha Rinpoché. Il est seul et dès que je passe la porte, il me plaque contre lui et me force à l'embrasser. Je suis tétanisée par la situation, la surprise et la confusion. Il me conduit dans la chambre et me viole. Je lui dis que je ne l'aime pas, que je n'ai aucun désir pour lui et que je ne veux pas coucher avec lui. Il me répond avec enthousiasme que c'est la condition parfaite pour qu'il me permette d'atteindre l’Éveil.
[…]
Je passe chez moi pour me laver, et je décide que je ne dirai rien à personne. Je me sens coupable et honteuse. Je ne parviens pas à donner un sens à ce qui vient de se passer. Même plusieurs mois après le viol, je n'arrive toujours pas à associer l'image de l'homme qui a abusé de moi à celle du lama qui m'a guidée dans ma pratique depuis plusieurs années, à qui j'ai accordé ma confiance comme à un père spirituel. Je suis dissociée. » (pp. 178-179)

6. « Le Tibétain [le lama Namkha Rinpoché, cf. cit. 5 supra] reste imperturbable, mais conteste les accusations portées contre lui par ses anciennes disciples.
"Je ne suis pas le seul à avoir été accusé, d'autres lamas ont rencontré des problèmes similaires, rappelle-t-il en guise d'introduction. Beaucoup de choses que l'on peut faire en Occident sont interdites en Asie et inversement. Au Tibet, il y avait des yogis : s'ils étaient encore vivants et s'ils faisaient la même chose qu'à l'époque, on les mettrait en prison. Dans les mantras secrets, il existe des pratiques entre hommes et femmes en union sexuelle. Mais en Occident, ces pratiques d'union sont rares, voire impossibles." […] Namkha poursuit en livrant son analyse de la personnalité des femmes qui le mettent en cause, détectant chez elles "de graves problèmes de psychose". "Je me souviens très bien de la disciple que l'on entend parler avec Sa Sainteté. Je pensais qu'elle avait de la dévotion pour moi, mais avec le recul, je pense qu'elle était amoureuse. Là-dessus, les points de vue en Occident et en Asie sont très différents. En Occident, si une femme est amoureuse de son lama et que ça ne marche pas, elle se fâche et lui fait un procès. Ces histoires ont été pour moi un enseignement : elles m'ont permis de comprendre ce à quoi il faut faire attention avec le public occidental." » (pp. 182-184)

7. Excipit : « Jusqu'à présent, les autorités spirituelles tibétaines ont ignoré la parole des victimes, répétant à l'envi que le sujet ne relève pas de leur responsabilité. Les tentatives menées de l'intérieur pour s'attaquer au problème des agressions sexuelles dans les communautés ont été accueillies avec froideur ou franche hostilité. Les disciples qui ont exposé les violences de Sogyal Rinpoché ont été publiquement vilipendés, y compris par d'éminents maîtres spirituels. Nous nous sommes demandé comment la compassion, valeur centrale dans le bouddhisme, pouvait être compatible avec un tel abandon des victimes. Des spécialistes nous ont répondu qu'elle s'exerce pendant la méditation ou la prière. Nous espérons que cette enquête pourra, à sa mesure, encourager des actions plus tangibles. »

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