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[Les théories de l'exclusion | Martine Xiberras]
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Posté: Mar 02 Jan 2024 17:02
MessageSujet du message: [Les théories de l'exclusion | Martine Xiberras]
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Les pères fondateurs de la sociologie – Durkheim, Simmel, Weber –, rappelle opportunément l'autrice, en cherchant à caractériser les phénomènes sociaux et à les distinguer des comportements individuels, se sont penchés sur les formes et les conditions du lien social. Souvent ils comparaient la communauté traditionnelle avec la société moderne – comme Durkheim en distinguant la solidarité mécanique de la solidarité organique, ou bien Weber en distinguant la légitimité traditionnelle de la légitimité légale-rationnelle – et ils qualifiaient les manquements du lien social/intégration par la notion d'anomie, que nous pouvons transposer dans notre conception d'exclusion, selon la démarche implicite de Xiberras. Dans sa modélisation, il faut tenir compte des formes du lien social mais aussi des représentations collectives (valeurs, croyances, modes de vie) qui le permettent ou l'empêchent, ainsi que d'une caractérisation des ensembles sociaux à trois échelles : communauté, société et humanité tout entière. Grâce à un tel tableau à double entrée, il est donc possible de comparer les théories du lien social et donc de son inverse, l'exclusion, tout au long de la pensée sociologique : d'après les trois auteurs de la « sociologie classique » (Durkheim, Simmel, Weber) ; d'après les penseurs de l’École de Chicago et les Interactionnistes symboliques (« théories de la sociologie de la déviance ») ; enfin d'après la sociologie contemporaine (Mary Douglas et sa « théorie des groupes latents », les théoriciens de la post-modernité et la « sociologie des mouvements sociaux » (Alain Touraine, Michel Maffesoli, etc.). Malgré la complexité qui se dégage de la tentative de schématiser les travaux de tous ces théoriciens dans un tableau unique, une évolution chronologique cohérente peut être décelée, caractérisée par deux grandes ruptures : alors que la sociologie classique avait comme angle d'attaque la société dans son ensemble, et l'intégration ou non des groupes minoritaires-étrangers en son sein, la sociologie de la déviance commence à se pencher sur l'intégration des groupes déviants dans leur propre sous-ensemble, avec leurs valeurs en opposition vis-à-vis des représentations collectives de la société ; dès lors, les dimensions de la domination (hégémonie), de la lutte, de la résistance, sont prises en compte, y compris dans l'éventualité de faire bouger les lignes des représentations majoritaires par le conflit politique. Deuxième rupture : la post-modernité, dans sa remise en question radicale des valeurs communes, dans sa « parcellarisation des pratiques », dans ses questionnements renouvelés sur la nature même des savoirs en sciences humaines rend instables et peut-être obsolètes voire même inconcevables les notions de « in-group » et de « out-group ». Il est question de « décomposition écologique de lien social » dont la recomposition est hypothétique et très fumeuse.
Il me semble que, tout au moins à la fin du millénaire passé, il était encore très hasardeux de traiter comme regroupé dans un paradigme – conceptuel mais aussi méthodologique – un ensemble de théories qui s'appliquaient à des travaux sociologique spécifiques et qui se refusaient à cette approche théorétique typique des pères fondateurs de la discipline.
Le degré d'abstraction qu'essaie d'atteindre l'autrice appliqué à post-modernité, sans doute sans avoir pris connaissance des travaux de Zygmunt Bauman ni de l’École de Francfort, est tel que l'on finit par perdre de vue la nature même des phénomènes d'exclusion, sur lesquels pourtant il y aurait tant à dire dans cette période-ci... Une minuscule tentative d'« application » est esquissée à la fin du dernier chapitre, concernant les drogues et la toxicomanie – qui fera l'objet d'une étude monographique de l'autrice – : malgré la grande pertinence de l'exemple, jamais il n'est question dans ces courtes pages de la manière dont toxicomanes relèvent de l'exclusion sociale, s'il relèvent ou non (ou quand) d'une véritable contre-culture antagoniste et contestatrice par rapport à la norme dominante, si l'autrice les inscrit ou non dans le cadre des « Outsiders » de Howard Becker (cité auparavant), ou encore dans la sociologie des mouvements sociaux. En un mot, il manque tout le côté politique de l'exclusion.


Cit. :


1. « Fondamentalement, ces populations ressentent toutes une 'différence' : parfois revendiquée (terrorisme, intégrisme) jusqu'à simplement subie (handicap psychologique, physique), voire même injustement imposée (enfermement, ghetto). Il semble effectivement que ces différences qui éclatent à tout propos, et dans de multiples formes, constituent la clef de voûte des attitudes de rejet et d'exclusion. […]
[…] C'est au nom de ces valeurs ou de ces représentations du monde que ces populations finissent par être exclues, soit qu'elles s'excluent d'elles-mêmes d'un monde où elles n'ont pas leur place, soit qu'elles sont exclues par les autres du fait de l'irrecevabilité de leurs idées […] ou du mode de vie. […] Or l'exclusion pour des idées ou des valeurs demeure moins visible parce qu'elle n'opère pas toujours, et pas immédiatement, d'exclusion physique.
Car les exclus ne sont pas simplement rejetés physiquement (racisme), géographiquement (ghetto) ou matériellement (pauvreté). Ils ne sont pas simplement exclus des richesses matérielles, c'est-à-dire du marché et de leur échange. Les exclus le sont aussi des richesses spirituelles : leurs valeurs manquent de reconnaissance et sont absentes ou exclues de l'univers symbolique. » (pp. 17-18)

2. « Soit la société tend à encourager la recherche des 'différences' avec l'étranger et ce dernier reste 'exclu' du groupe. Dans le cas des métropoles occidentales, cette attitude est généralisée : chacun devient étranger à autrui. Soit la société tend à encourager la recherche des 'similitudes' avec l'étranger, et ce dernier est alors 'accueilli' au sein de différents collectifs. Lorsque ce sont les 'similitudes singulières' qui prévalent, l'étranger est accueilli au sein d'un groupe local restreint déjà constitué (clan, communauté) qui lui ressemble. Cette perspective crée ainsi un lien social de type communautaire et fondé sur la solidarité mécanique décrite par Durkheim.
Lorsque ce sont des 'similitudes typiques' qui prévalent, l'étranger est accueilli au sein d'un groupe spécifique, transversal (religion, profession, …). Cette perspective permet de créer un lien social de type sociétaire et fonde plutôt une solidarité de type organique, selon la définition durkheimienne.
Enfin, lorsque ce sont des 'similitudes générales' qui prévalent, l'étranger est accueilli au sein de l'ensemble humain le plus vaste possible. Cette perspective adoptée par les représentations collectives permet alors de construire ce que Simmel et Durkheim appellent le niveau de la morale universelle. » (p. 63)

3. « Alors que la criminologie s'efforçait jusque là de trouver les raisons des comportements déviants dans les caractéristiques propres aux individus déviants ou à leur milieu, les interactionnistes étudient l'ensemble de relations sociales qui concourent à la déviance : ils observent alors au moins deux systèmes d'action qui s'affrontent, en général dans les représentations collectives, et en particulier dans les relations de face à face.
Le regard de la société, qui définit la catégorie de la déviance. Le regard des stigmatisés, qui intègre l'étiquette apposée par la société mais qui développe néanmoins son propre point de vue.
Pour les interactionnistes, la déviance n'est donc jamais inhérente aux actes ou aux individus, mais construite peu à peu, au cours d'activités nombreuses et enchevêtrées, par des agents multiples, aux approches différentes voire antagonistes. » (pp. 95-96)

4. « Si l'interactionnisme symbolique travaille sur la déviance sans jamais aborder le concept d'anomie, c'est que pour ce courant de pensée, l'exclusion, ce n'est pas le vide, ni dans les représentations, ni dans le lien social qui attache les exclus ensemble. S'il y a vide, ou plus exactement symbole d'ordre négatif, c'est seulement une image ou une étiquette négative que la société accroche au stigmate.
C'est sans doute cette mise au point d'ordre théorique qui permet à cette école d'exposer sereinement ses nouvelles hypothèses : il existe plusieurs mondes alternatifs à la norme officielle. La morphologie de ces groupes, la nature du lien social qui les relie, leur mode de représentations collectives, prennent des formes plus ou moins stables qu'il reste à décrire et à expliquer. » (p. 118)

5. « […] Michel Maffesoli observe trois formes concrétisées de la violence. La violence monopolisée par une structure surplombante mais plurielle (l’État, la technostructure) qu'il intitule "la violence totalitaire". Car cette violence reste celle des pouvoirs institués qui se sont aujourd'hui généralisés dans une forme de contrôle social panoptique comme l'a notamment montré M. Foucault.
Face à la 'violence totalitaire' et panoptique se développe a contrario une petite violence généralisée, micro-événements qui occupent les interstices minuscules d'une ambiance d’asepsie sociale. Cette autre forme de violence se concrétise dans deux tendances principales : la 'violence anomique', et il faut entendre selon notre proposition 'anomie positive' et la 'violence banale' […]
La violence anomique est une violence fondatrice. Elle s'insurge mais elle propose concomitamment un nouveau système de valeurs, une nouvelle conception du monde, une vision voire un projet de société. D'abord marginalisée puis minoritaire, la violence anomique peut parfois réussir à proposer sa façon de concevoir la société : c'est la cas de la dissidence politique ou culturelle ou religieuse, l'hérésie telle que l'observe aussi Jean Duvignaud.
Cependant, il existe une seconde forme de violence plus banale. Banalisée parce qu'elle reste fragmentée, plus que minoritaire et pourtant généralisée comme peut l'être une atmosphère d'agressivité mesquine et quotidienne. » (pp. 126-127)

6. « Les nouveaux conflits sociaux pénètrent toutes les brèches, jusqu'à l'intimité de la vie privée. Tout en déclinant les rôles de médiateurs que jouaient jusque là les partis, l'intelligentsia, etc., les nouveaux mouvements sociaux sont portés par des groupes de plus en plus globaux : face à un appareil de pouvoir de plus en plus intégré, ni le citoyen ni le travailleur ne peuvent s'opposer. Seules quelques grandes collectivités peuvent encore mener une résistance globale face à une domination globale.
Marginalité et déviance se recouvrent donc : face à une immense majorité silencieuse, on ne distingue plus que quelques minorités actives que l'on confond pêle-mêle avec la marginalité et la déviance.
C'est parce que le problème du pouvoir actuel réside dans les difficultés de l'intégration. Il ne se rend pas compte, notamment quand il tente par exemple de médicaliser les problèmes sociaux, qu'il contribue à leur marginalisation ou leur mise en "ghetto médical". » (p. 166)

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