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[Si je veux | Johanna Luyssen]
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Posté: Mar 26 Déc 2023 20:52
MessageSujet du message: [Si je veux | Johanna Luyssen]
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Voici un témoignage sur la décision d'accéder à la maternité en tant que célibataire. L'autrice est une journaliste, ayant donc fait des études prolongées et jouissant d'un statut socio-économique privilégié mais atteint tardivement, qui a vécu le « désir d'enfant » à un âge relativement avancé (passés 35 ans) et après une expérience conjugale insatisfaisante. Dans ce récit, à partir d'une trame chronologique qui part d'une enfance caractérisée par la maladie et la perte de plusieurs membres de sa fratrie, elle mêle les données biographiques à des réflexions féministes qui lui fournissent, dans leur maturation, un cadre interprétatif de chacune des phases à travers lesquelles se déroule son projet parental. Dans un style toujours pétillant, jamais victimaire, mais parfois doté de la légèreté du journalisme – par contraste avec celui que l'on attend d'un essai féministe – sont dénoncés les obstacles pesant à chaque étape sur la femme, sur la célibataire, sur la trentenaire, sur l'usagère de Tinder, puis décidée à se valoir des banques de sperme étrangères, puis tombée enceinte dans des circonstances inattendues, jusqu'au seuil de la maternité. En vérité, nous n'apprenons guère de détail sur cette dernière étape, ni sur la vie quotidienne en tant que « mère célibataire par choix ». Les considérations féministes interprétatives de la praxis étant toujours privilégiées, ne serait-ce que pour tenter d'inverser le stigmate de la « fille-mère » qui a la vie dure, au point que les anecdotes biographiques ne sont guère que des preuves des idées avancées, ces considérations finissent par offrir un tableau qui valide l'opportunité de ce choix, conçu comme un nouveau modèle opératoire pour résister à et s'émanciper de celui, hégémonique, de la parentalité inscrite dans le couple hétéro-normatif.



Cit. :


1. « Aujourd'hui, je trouve l'idée de se prostituer auprès de Louis XIV pour des finalités de justice sociale assez intéressante. Mais il est avant tout triste que je ne me sois jamais imaginée en Robin des Bois, 'tout court'. Je ne me suis jamais dit qu'il y avait peut-être un autre moyen d'arriver au même résultat. Mon idylle avec Louis XIV ayant tourné court, près de trente ans plus tard il est temps de faire le bilan, calmement, de ce conte de fées que fut ma vie. Cela donne, au risque de divulgâcher une partie de l'intrigue : "Elle se maria, divorça, et partit seule à Berlin pour finir par s'inséminer, à l'aide d'une pipette Doliprane, avec le sperme d'un astrophysicien rencontré sur un site de coparentalité." » (p. 37)

2. « Sauf que dans la vraie vie, on ne sort généralement pas avec douze personnes à la fois ; sur les applications de rencontres, si. On papote avec différentes personnes, on en croise plusieurs. Parfois, on dîne avec quelqu'un et cela se passe bien, voire très bien. Deux jours plus tard le charme est rompu, l'Autre est distant. Vous sentez que pour une raison mystérieuse, vous avez été déclassée. Si ça continue, il ne répondra plus du tout, il disparaîtra comme il était venu : vous êtes en passe d'être ghostée. Et sachez-le, Ulysse ne reviendra jamais. Deuxième option, sorte de lot de consolation : s'il aime bien papoter avec vous, il vous fera atterrir en douceur dans le monde merveilleux de la "friend zone". La raison à tout cela est très simple. C'est généralement parce que la personne a entre-temps rencontré une personne mieux que vous à ses yeux, ce qui fait qu'il a décidé de s'encoupler plus ou moins temporairement avec elle et que par respect vis-à-vis de cette personne il convient de couper les ponts avec vous. Parfois aussi, les choses sont moins claires et vous êtes sur une sorte de liste d'attente, comme dans Parcoursup ; mais à la différence de Parcoursup, vous n'êtes au courant de rien.
[…]
Je ne suis pas exempte de défauts. D'abord, j'ai tendance à utiliser Tinder comme une immense base de données sociologiques, ce qui est problématique. J'observe l'humanité. Je suis en immersion. Oh, un policier antiterroriste du Brandebourg... Un compositeur de musique classique de Cologne... Un thésard en robotique d'ex-RDA ayant grandi à Cuba... Une universitaire israélienne... Un web designer finlandais minimaliste... Un DJ madrilène qui s'est tatoué un kebab sur la jambe... […] Je ne sais plus si je rencontre des êtres humains ou des personnes dont le "parcours" me fascine. Des CV, en quelque sorte. Combien sommes-nous à faire cela ? » (pp. 74-75)

3. « Dans ces débats sur la PMA, on a très peu demandé leur avis aux donneurs de sperme, ceux qui ne veulent pas être pères mais des hommes-semences. C'est dommage, parce que je crois qu'il y a une variété de raisons qui poussent un type à faire ça, surtout s'il le fait gratuitement. Même si, au fond, je crois que je m'en fiche un peu : la fin justifie les moyens. Sur les sites de coparentalité, je trouve plusieurs profils : ceux qui souhaitent donner leur sperme de manière non anonyme mais sans avoir aucune implication dans la vie de l'enfant, comme le veut mon donneur. Ceux qui cherchent un package "femme et enfant". Ils cherchent une femme, l'amour, une famille, un ventre en mesure de se reproduire, un bébé à câliner. Ceux-là me rendent triste et je les fuis. Et aussi ceux qui veulent être parents, mais pas vraiment. Ceux-là ont inventé la "fonction d'oncle", c'est-à-dire ce truc un peu lâche qui fait d'un père biologique une sorte de Père Noël saisonnier. Autrement dit, profiter des gamins de temps à autre pour manger une part de gâteau ou parader en poussette, oui, mais changer les couches, nettoyer le vomi, acheter le produit antipoux, ça, non. La fonction d'oncle, ça ressemble à ce que font certains hommes au sein de leur propre famille. Des pères qui jouent aux oncles. Enfin, heureusement que les temps changent, évidemment, et que de nos jours, des hommes prennent leurs responsabilités. » (pp. 121-122)

4. « Des femmes vous diront qu'elles ont trouvé la liberté et le bonheur en enfantant. D'autres vous diront qu'elles ont trouvé la même chose en refusant la maternité. Dans les deux cas, il aura fallu se libérer de quelque chose. Un soupçon de mauvaise conscience féministe pour celles qui enfantent et aiment ça – comment cela, la maternité n'est pas tout à fait une aliénation ? Les autres, les femmes sans personne dedans, les nullipares et fières de l'être, ces femmes-là se battront contre les regards condescendants et les condamnations d'usage : tu n'es pas une femme accomplie si tu refuses la maternité. Toujours la même histoire. Alors que la vérité est simple : toutes les femmes qui choisissent ont raison, les autres méritent notre soutien. Il me semble que, dans mon cas, concevoir un enfant seule est une manière de soulager ces tiraillements. De réconcilier un désir organique, le corps qui réclame, l'utérus qui se tend (mon côté essentialiste, peut-être) ; et puis mon féminisme culturel, celui qui me fait penser, et dire : je ne veux pas de votre modèle, il ne me convient pas, il m'oppresse, je ne vais pas faire comme cela. Amazone maternelle. » (pp. 139-140)

5. « Cette enfant a donc, comme dans toutes les histoires, un père biologique. Il sait. Il s'est éclipsé. Il n'était pas prêt. J'ai compris. L'important dans cette histoire, ce n'est pas le père biologique. Vous pouvez frémir d'indignation en lisant ces lignes. C'est vrai. On ne naît pas parent, on le devient. Il ne l'est, pour le moment, pas. Elle fera ce qu'elle voudra, plus tard, le rencontrer, ou pas ; mais pour le moment nous sommes deux, elle et moi. C'est ainsi. J'ai tremblé à l'idée qu'il me reproche d'être tombée enceinte, mais j'étais préparée à lui rétorquer le cas échéant que la contraception, c'est également son affaire. Mais il ne m'a jamais reproché cela. Il importe de rester élégant en toutes circonstances.
Des personnes malveillantes ont pensé que je lui avais tendu un "piège". Ainsi un homme couche avec une femme sans contraception, 'elle' tombe enceinte, et parce qu'elle ne souhaite pas avorter l'on considère qu'elle prend une décision qui va changer sa vie à 'lui' à tout jamais, et l'on pense par conséquent que 'lui' est victime d'une sorte de piège car il se trouve que la femme souhaitait dans l'absolu avoir un enfant. Mais d' 'elle' on se fiche bien, de son ventre, de ce qu'elle voulait et de sa vie qui change, sa vie à 'elle'. » (pp. 153-154)

6. « Si des personnes souhaitent accéder à la PMA pour toutes et faire un enfant seule, c'est faisable. C'est aussi très épanouissant. Je veux leur dire que je suis heureuse d'avoir enfin appris à décorréler la question de l'enfant de celle du couple. Je veux leur dire que je ne regrette pas d'avoir mis la question des hommes sur le bas-côté, pour une fois. Eux, qui ont occupé mes pensées pendant tant d'années, se trouvent désormais relégués en arrière-plan et cela fait du bien, il était temps qu'ils n'occupent plus la première place. J'ai mis du temps à déconstruire ces schémas mais ça en valait la peine. Je suis heureuse d'avoir réussi à m'émanciper. Je suis heureuse de ne pas avoir attendu, pour être mère, qu'un hypothétique type veuille bien faire un enfant avec moi. Je suis heureuse d'avoir enfin pu boycotter le marché de la bonne meuf. […] Faire un enfant seule, se construire dans cette autonomie-là, fait pour moi partie de ce geste libérateur. Il fait partie de cette désertion, ce grand voyage dans le vide, ces pleins que l'on se crée, nos modèles, à nous autres. » (pp. 164-165)

7. « Il faut donc embrasser cette loi [la loi du mariage pour tous lorsqu'elle a ouvert l'adoption aux couples du même sexe] pour ce qu'elle est, un changement de paradigme. Elle renvoie les pères à leur juste place, celle qu'ils voudront bien prendre s'ils s'engagent dans un projet parental. Ils n'auront pas ces droits de facto, et c'est une excellente nouvelle. L'époque que nous vivons est passionnante, car elle redistribue toutes les cartes ; père social, père naturel, donneur non anonyme, donneur anonyme, les possibilités sont nombreuses. Ce qui compte à la fin, c'est qu'une personne soit là pour enlever les petites roues du vélo. Chez nous, ce sera sans doute moi. » (p. 166)

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