Tous les ingrédients de l'écriture de Zoyâ Pirzâd que j'aime tant sont là : une forme de narration qui se rattache à la tradition persane de la nouvelle, une prose délicate et sensible faite d'ellipses et de détails de l'intimité domestique, du quotidien, de petits événements et d'objets minuscules ; et enfin la complexité et la conflictualité des relations entre les genres, entre femmes appartenant aux différentes générations (les affiliations opérant à générations alternées...), surtout entre les communautés arménienne et musulmane qui se côtoient, coexistent en bonne intelligence, mais ne sauraient se mélanger sans que des drames ne s'ensuivent...
Les trois chapitres de ce court roman se déroulent chacun la veille de Pâques, à trois moments éloignés de la vie du narrateur, Edmond Lazarian. Dans le premier, celui-ci est un garçon de douze ans, le monde est décrit à l'aune de son âge et de ses jeux d'enfant avec la petite Tahereh, la fille du concierge de l'école arménienne, seule musulmane autorisée à y être scolarisée, à s'intégrer à la culture minoritaire-majoritaire. Cette amitié entre enfants est plus ou moins bien tolérée ; mais le drame, c'est que la mère de Tahereh ait été surprise au domicile du directeur de l'école !
Dans le deuxième, le protagoniste est lui-même père de famille et directeur d'école, sa fille unique Alenouche annonce son intention d'épouser un Musulman et demande à son père d'intercéder auprès de la famille qui se réunira le jour de fête ; un voyage à deux, retour aux origines familiales suffira-t-il à recoudre la déchirure provoquée par cette décision ?
Dans le troisième, il est désormais veuf et quasi retraité, n'ayant pour seule relation sociale que son ancienne subordonnée et amie intime de son épouse, Danik, qu'un amour de jeunesse pour un Musulman a forcée à l'exil et au célibat et a failli l'ostraciser de son lieu de travail ; un non-dit pesant fait porter à la « mésalliance » d'Alenouche la culpabilité pour la mort de sa mère : l'intercession de Danik suffira-t-elle à relier le père à sa fille ?
Cit. :
« [Tahereh:] - Je ne comprends pas pourquoi tu as peur de cet endroit ! me dit-elle. Ils sont tous morts. Il n'y a pas de raison d'avoir peur d'un mort. Tu crois qu'un mort va te frapper ? T'embêter ? Papa, lui, il nous frappe ma mère et moi. Il nous embête. Moi, c'est de papa que j'ai peur. Non ! Je n'ai pas peur, je le hais ! S'il pouvait mourir !
Elle porta une main à sa joue. Je la regardai. Elle pleurait. Je ne l'avais jamais vue pleurer. Je mis la main sur son épaule. Elle s'écarta vivement, se leva et s'éloigna. Il y avait quelque chose d'étrange dans sa démarche. Je restai assis un moment à couper des herbes en morceaux. » (pp. 54-55)
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