[Quatre enfants, quatre pères... pourquoi pas ? | Sylvie Benoit]
Deux mariages, cinq liaisons significatives, quatre enfants de quatre pères, des modèles de parentalité successifs qui ont évolué au fil du temps en bousculant ou en se singularisant quelque peu par rapport aux schémas connus : la famille « traditionnelle », la famille « recomposée », la monoparentalité subie, la monoparentalité (potentiellement) choisie... D'une expérience familiale douloureuse, marquée par un père abandonnique et une mère contre son gré, l'autrice de ce témoignage retire deux invariants dans sa propre vie d'adulte : le désir d'enfants – probablement d'une nombreuse progéniture, issue ou non du même conjoint – et, sans l'avouer, une grande attirance pour des hommes de condition socio-économique très favorisée, lui permettant d'habiter dans de somptueuses demeures dans les beaux quartiers parisiens, conduisant des bolides, « rassurant[s], sécurisant[s] » et pouvant pourvoir aux besoins de la femme et des enfants conformément au modèle patriarcal traditionnel et dans la plus grande aisance. Dotée d'une grande confiance en son pouvoir de séduction et mettant en avant continuellement son physique, Sylvie Benoit n'hésite pas à avouer qu'elle a cependant échoué avec ses maris et ses compagnons, n'ayant jamais trouvé l'amour passionnel et fusionnel dont elle rêvait, pas même auprès de son dernier compagnon. Elle s'est lassée d'eux et les a quittés indépendamment de l'enfant qu'elle avait ou allait avoir avec chacun.
En lisant la succession des parcours sentimentaux avec les cinq hommes, j'ai trouvé qu'elle a toutefois eu l'énorme chance de ne jamais connaître les difficultés matérielles qui sont si fréquentes chez les mères solos, de n'être jamais laissée seule et sans soutien avec ses enfants, de n'avoir vécu ni les horreurs de la violence conjugale dont aucune classe sociale n'est épargnée, ni même, tout compte fait, les tracas de séparations conflictuelles ni de ruptures définitives et irréversibles ; si elle a sans doute eu une part de mérite à avoir fait en sorte que chaque père ait maintenu, peu ou prou, des relation avec son propre enfant, voire pour Arthur également avec des filles qui n'étaient pas les siennes, l'aisance matérielle dans laquelle elle a évolué y a sans doute contribué grandement, ainsi que des hasards heureux avec des personnes globalement bienveillantes.
Pour tout dire, la figure de la narratrice ne m'a personnellement inspiré à aucun moment des sentiments de compassion ni d'empathie, pas même dans les pages – surtout vers la fin du livre – où elle expose ses convictions féministes qui me paraissent tièdes, bourgeoises, parfois mal comprises (cf. Simone de Beauvoir) et somme toute très attendues, conventionnelles – voire banales.
Par contre, plus encore que par les différents modèles de parentalité que j'ai évoqués au début, j'ai été intéressé par l'institution de la paternité de chacun des quatre pères, ainsi que la supposition que l'autrice fait relativement à la parentalité qu'elle aurait souhaité fonder avec Lancelot, le dernier compagnon. Comme l'indiquent les cit. que j'ai délibérément sélectionnées sur ce thème, on peut très schématiquement les caractériser de la manière suivante : Perceval = paternité immature ; Arthur = paternité surinvestie ; Richard = paternité presque refusée ; Roland = paternité possessive ; Lancelot = paternité hypothétique.
On l'aura compris, ce témoignage n'a pas valeur emblématique. Il faut rechercher dans ces singularités matière à réflexion.
Cit. :
1. « Je n'éprouve aucune appréhension. Quant à Perceval, bien qu'il se demande s'il est raisonnable d'avoir si jeune un enfant dans notre situation, je crois qu'il me fait confiance et qu'il est dans la même disposition d'esprit que moi. Il me dit : "Pourquoi pas ?" » (p. 55)
2. « Je veux d'abord et avant tout donner à Arthur l'enfant qu'il me réclame. Rarement comme celle de Prune une naissance aura été autant voulue et programmée. […]
Pour Arthur, la naissance de notre fille est l'épisode le plus important de sa vie. Il nage dans le bonheur quand il prend dans ses bras sa petite poupée toute ronde et blonde. Son portrait craché ! » (pp. 80-81)
3. « Malgré notre désaccord [sur l'enfantement], je veux rester en bons termes avec Richard. Au moins pour Chine, car c'est ainsi que j'ai décidé d'appeler mon nouvel enfant : il sera mon empire. Je n'arrive pas à me fâcher complètement avec le père. Hormis le soutien financier que je ne désespère pas obtenir de lui, j'espère du fond du cœur qu'il changera d'attitude quand il verra notre bébé. J'ai du mal à imaginer qu'il ne craquera pas.
[…]
Lorsqu'il prend le bébé dans les bras, je le mitraille dans tous les sens avec mon appareil. Je me dis à ce moment-là qu'au moins j'aurai quelques photos de son père à mettre dans son album de naissance... Je fais bien d'immortaliser ce moment : je ne le reverrai pas avant plusieurs mois... Il m'a bien dit et redit qu'il reconnaîtrait sa fille, mais il ne semble pas pressé de le faire. […] Chine attendra un an et demi pour être enfin reconnue par son papa à la mairie de Neuilly... » (pp. 135, 137)
4. « Cet accueil néanmoins si chaleureux me donne des ailes et je me sens remplie de force pour prévenir le futur papa : Roland.
Il explose littéralement de joie. Je prends conscience que je lui offre l'occasion de sa vie : être enfin père. Il en est conscient, tout en me faisant part de son regret : la fin de notre histoire. Je devine qu'il garde l'espoir de me reconquérir. Qu'il n'y compte pas. Mon désir d'enfant n'est pas particulièrement lié à un homme, pas plus lui qu'un autre. » (p. 171)
5. « […] mon vœu le plus cher, aujourd'hui, serait d'avoir de Lancelot un enfant qui serait le précieux fruit de notre tendresse. Je sais qu'il est d'accord pour se lancer avec moi dans cette belle aventure parce qu'il m'aime, parce que j'ai su le rassurer sur l'avenir, sur son rôle de père que je ne menacerais pour rien au monde, quoi qu'il arrive. Je suis heureuse de constater qu'il a vraiment mis du sien pour s'adapter à sa nouvelle vie : accepter d'accueillir mon petit monde est une réelle preuve d'amour. » (p. 217)
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