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[Avoir le temps | Pascal Chabot]
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Posté: Sam 06 Aoû 2022 13:33
MessageSujet du message: [Avoir le temps | Pascal Chabot]
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Pascal Chabot, Avoir le temps – Essai de chronosophie, 978 213 082534 0. PUF, 2021 – 4 *


Habituellement, l'on distingue entre deux conceptions culturelles du temps : linéaire ou cyclique. L'auteur commence par en suggérer une troisième qui fusionne les deux : la spirale. Ensuite, il identifie une évolution diachronique plus fine entre quatre (plus une) façons d'envisager le temps : le Destin, le Progrès, l'Hypertemps et le Délai. L'analyse de ces quatre « schèmes », chacun illustré par une figure/oeuvre d'art – les géoglyphes de Nazca (Pérou, s.d.), la spirale penchée (« Monument à la Troisième Internationale ») de V. E. Tatlin (1919-1920), les spirales loxodromiques (« Sphere Spirals ») de M. C. Escher (1958) et l’œuvre éphémère de land art « Spiral Jetty » de Salt Lake City par Robert Smithson (1970) – constitue la partie la plus importante de l'ouvrage. Mais si de telles conceptions se sont succédé et que la post-modernité contemporaine est caractérisée à la fois par l'Hypertemps : le temps des écrans, de l'omniprésence du temps planifié, de « logiciel et logistique », des « ultraforces » capitalistes du crédit et de la croissance perpétuelle, mais aussi par le Délai des inquiétudes environnementales de l'apocalypse de « la planète-vers-la-mort » et de « l'afuturalgie », la thèse fondamentale de cet essai est que ces schèmes ne sont complètement ni ne doivent opportunément être considérés exclusivement de manière diachronique. Il subsiste toujours des réminiscences de chacun d'eux, y compris du temps-Destin jusqu'à aujourd'hui, et de plus il est nécessaire d'adopter l'un ou l'autre selon la problématique envisagée. En particulier, un discours catastrophiste qui se limite à comprendre le temps comme Délai est un « crime » contre lequel est engagée la responsabilité morale des intellectuels. Dès lors – et c'est la troisième partie de l'essai – il convient de les penser de manière synchronique, en particulier sans s'insurger systématiquement contre le temps-Progrès, mais plutôt en se questionnant sur « comment faire progresser notre conception du progrès » (p. 200) ; en d'autres termes, l'auteur nous convie à « penser en 4D » : tantôt en post-modernes, tantôt en anachroniques, nous invitant ici à ralentir, là à accélérer, afin de parvenir à une « posthistoire » entendue comme un « métissage temporel ». Par conséquent, l'illustration de la spirale est désormais remplacée par une métaspirale, fusionnant le diachronique et le synchronique (représentable par la double hélice de l'ADN ?) et en conclusion l'auteur de poser un cinquième mode de pensée du temps, l'Occasion « que les Grecs appelaient kaïros ». « […] L'Occasion est un schème temporel, car rien ne concerne autant la chronologie que de savoir comment agir et à quel moment, elle n'est en rien comparable au passé, au présent ou au futur. L'Occasion est comme une sortie du temps. C'est pour cela qu'elle est le temps philosophique par excellence : elle suppose le surplomb que la philosophie peut lui donner. Elle comprend la situation, elle voit les forces en lice, elle évalue le tournoiement de la métaspirale et en conclut... qu' "il est temps". » (pp. 202-203)...



Cit. :


1. « Des lignes dans les cycles ; des cycles dans les lignes. Nul schème civilisationnel n'est purement cyclique ni linéaire, mais tous concilient les deux aspects de manière singulière. Tous vont en spirale. Car c'est bien cette figure-là qui permet d'allier les deux dimensions. La spirale est une courbe qui va toujours de l'avant. Elle est figure du devenir mais elle sait se répéter, et cependant autrement. Fréquente dans le règne végétal, dans le règne animal, dans les coquilles d'escargot et de mollusques, la spirale est ce motif universel du développement et du déploiement. […] Comme le temps de l'existence, la spirale a cette propriété de croître de manière terminale, sans modifier la forme de la figure totale, de même que la pointe du devenir qu'est l'instant présent ne change rien au passé. Elle manifeste par là la permanence de l'être à travers les fluctuations du changement. » (pp. 39-40)

2. « On l'a trop peu remarqué mais ce qui fait la singularité du Moderne, c'est qu'il est contraint de se fixer des buts. C'est par eux qu'il échappe au passé et se laisse attirer par le futur. Car les buts sont les fantômes de l'avenir. Ils sont les imaginations qui, depuis le présent, dessinent les lendemains. Ils font une différence saisissante, car l'habitude humaine est plutôt de vivre sans finalité singulière ni projet exceptionnel, dans ce contentement que procure l'imitation des semblables. À vrai dire, cette imitation est déjà un but, mais sans nouveauté ni différence. Elle n'est qu'un désir d'être socialement en phase.
En revanche, l'introduction dans le champ du développement d'une finalité nouvelle résonne comme un coup de tonnerre. Elle est une ébauche prospective, un ajout humain injecté dans le devenir, dont on veille à la réalisation. Tous les désirs de réformes, les projets utopiques, les combats d'émancipation et les initiatives de transition portent l'influence indélébile de l'avenir, dont ils reçoivent leur énergie. » (p. 71)

3. « Nul n'ignorait que cet avoir [une horloge] donnait un pouvoir. Entre ceux qui pouvaient connaître l'heure et les autres, la foule des achrones qui n'avaient pas le temps, un fossé était creusé. Celui qui a l'heure commande, non seulement dans les ateliers et les fabriques, mais aussi sur les places et dans les institutions. Naquit ainsi ce que l'on n'avait jamais connu : une aristocratie instrumentale. Il y en eut des guerrières, des religieuses et des politiques ; il exista des aristocraties du savoir, de la pratique ou de l'outil. Mais une distinction sociale liée à la possession d'un instrument mécanique, voilà qui était neuf et fit de ce nouveau mode de possession du temps un point de bascule dans l'histoire de la civilisation. Désormais, mesurer l'heure serait un avantage concurrentiel. Toute notre civilisation reste l'héritière de ce nouvel état d'esprit, à ceci près qu'aujourd'hui, ce sont les ordinateurs et les écrans qui donnent cet avantage à ceux qui les détiennent. » (p. 79)

4. « Au-delà de ces questions fondamentales, l'injustice de l'équation qui formalise l'échange du temps contre de l'argent [dans le contrat salarial] concerne la reconnaissance. Car si l'argent ne suffit pas à payer le temps, il faut que ce temps d’activité parvienne à se rétribuer lui-même, par ses propres moyens. Après tout, ce temps est le temps de la personne, qui en est le premier responsable, et le seul dépositaire. C'est pourquoi la notion de reconnaissance joue un rôle déterminant. On a souvent tendance à l'attendre des autres, mais la première reconnaissance est une auto-reconnaissance, c'est-à-dire une satisfaction vis-à-vis de sa propre activité. C'est la conviction que le temps donné à tel emploi ne l'est pas en vain, mais qu'il enrichit son existence et contribue à lui donner un sens, qui vient gratifier de manière incommensurable la personne qui travaille. » (p. 87)

5. « Il y a comme un crime contre la jeunesse que de lui répéter qu'elle est la génération des tard-venus, des héritiers du monde de l'abondance qui n'en profiteront pas, ou encore des avant-derniers. Les choses sont infiniment plus compliquées. On ne peut traiter les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, comme des Moïse à l'envers, qui seraient nés dans la Terre promise – ou dans son ersatz, difficile de savoir ! - et à qui l'on expliquerait qu'il leur faut maintenant retourner dans le désert. […] Stigmatiser les humains d'une triple tare, à savoir d'être les bourreaux de la planète, les victimes du capitalisme globalisé et les frustrés du système, pour ensuite leur dire qu'ils n'ont plus le temps de s'en sortir : voilà le point zéro où mène la spirale du Délai. On ne peut accepter ce dead end déprimant. Voilà le point d'où il faut partir pour repenser un avenir. » (pp. 156-157)

6. « Les non-contemporains ne devraient pas être des perdants. Et même : nous sommes tous des non-contemporains, des anachroniques qui, par moment, errons dans des temps parallèles. La plus grande liberté serait de laisser à chacun le choix de la manière de se temporaliser librement. Les procès en contradiction doivent cesser. Qu'une personne décide d'aller vivre dans la Drôme, au rythme des abricotiers et des tours de poterie, et qu'elle use simultanément d'une connexion internet du plus haut débit, qu'elle soit convaincue d'une inéluctable hausse du niveau de la mer mais qu'elle milite toutefois pour moins d'écart salarial, voilà qui n'est pas incohérent. Elle est simplement un métis temporel. On a là quelqu'un qui expérimente l'irréductible pluralité des schèmes. Toute la question, dès lors, est de savoir comment penser le futur d'une civilisation pareillement diverse : nos sociétés sont-elles capables de métisser le temps ? » (p. 186)

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