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[L'esprit du macronisme | Myriam Revault d'Allonnes]
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Posté: Mer 20 Avr 2022 14:08
MessageSujet du message: [L'esprit du macronisme | Myriam Revault d'Allonnes]
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Cet essai de philosophie politique court et intense a été rédigé en octobre 2020, dans l'actualité de l'urgence sanitaire de la Covid 19. Il a pour objet l'analyse de trois concepts-clés de la pensée et du discours politiques d'Emmanuel Macron : l'autonomie, la responsabilité et la capacité. La thèse défendue brièvement mais rigoureusement est que ces concepts ont été pervertis par un certain discours « managérial et comptable » bien rodé du néolibéralisme, notamment par rapport à leur sens établi par les Lumières allemandes (Kant) et françaises (surtout Rousseau). De surcroît, les allocutions présidentielles durant la crise sanitaire les ont rendus d'autant plus équivoques que l'action politique s'est avérée contradictoire avec les principes énoncés. À l'origine de ce double détournement ou « dévoiement » des concepts, on trouve la confiscation de « l'endettement réciproque entre l'individu et la société » au profit d'une vision utilitariste du lien social. L'"in-dépendance" des individus et même leur liberté sont dissociées de leur intégration dans la communauté.
Il est intéressant de noter que parmi les auteurs les plus souvent convoqués dans cette démonstration, on trouve Michel Foucault et Paul Ricœur, que le président-candidat ne se prive pas de citer à ses heures... Pourtant les analyses des propos de celui-ci, tirés de son opus intitulé : Révolution, ainsi que d'extraits de ses interventions publiques en tant que ministre et ensuite président, parmi les plus polémiques et commentés dans toute leur outrance scandaleuse (« nation start-up », « traverser la rue pour trouver du travail », « premiers de cordée », « pognon de dingue », etc. ), révèlent des détournements de sens qui sont loin d'être anodins.



Cit. :


1. « Ce qu'il est convenu d'appeler le "néolibéralisme" met en avant la figure d'un individu qui ne devrait rien à personne, d'un sujet dit "autonome" en ce qu'il ne tire la loi de son action que de lui-même, de son mérite propre, de ses efforts, tels le self-made man ou encore les "premiers de cordée" si souvent évoqués dans le discours macroniste.
Cette logique engage évidemment une certaine représentation du lien social, du rôle des institutions et de ce qui nous "oblige" à leur égard. Réciproquement, elle oriente la façon dont la société envisage ce qu'elle doit à ses membres. Enfin, elle infléchit le regard que les individus portent sur eux-mêmes, se perçoivent et s'évaluent. La rationalité néolibérale ne se limite pas simplement à des choix économiques mais elle imprègne la physionomie de notre époque, les mentalités, la nature des échanges, les affects, les manières de vivre, intimes et communes, etc. Elle tente de produire des comportements, de façonner normativement les individus, d'évaluer leur activité d'une manière avant tout quantifiable. L'autonomie consiste à prendre soin de soi de façon rationnelle, à "calculer" sa vie en se soumettant à une logique unitaire, celle de l'homme "entrepreneur de soi", performant et inséré dans une compétition généralisée. » (p. 11)

2. « La déliaison [entre l'individu et la société] opère donc dans les deux sens. Contrairement au discours aujourd'hui dominant sur l’État providence (qui serait devenu obsolète et inadéquat aux nouvelles conditions économiques et politiques et à la mondialisation), celui-ci ne répondait pas à une logique de l'assistanat mais incarnait une certaine représentation du lien social et une visée de justice sociale dont il était le garant. Il était en quelque sorte "endetté" à l'égard de la communauté des citoyens, redevable de la réalisation du principe de justice sociale. Car celle-ci était un principe, un fondement et non une conséquence de la prospérité économique, comme feint de le croire l'absurde théorie (ou plutôt le mythe) du ruissellement. » (pp. 30-31)

3. « C'est à l'individu que revient le soin de se protéger, soit au moyen des réserves privées dont il dispose, soit par le biais de mutuelles.
La stratégie consiste à opérer une sorte de "transfert de responsabilité" non seulement sur les sujets individuels mais aussi sur les sujets collectifs (familles, associations). Elle étend la responsabilité aux risques sociaux (maladie, chômage, pauvreté). Mais elle ne peut consister uniquement en un ensemble de mesure économiques et politiques contraignantes. Le transfert qui accompagne une politique sociale privatisée implique un travail sur les subjectivités de telle sorte que la responsabilité puisse être reformulée comme un problème de "souci de soi".
[…]
Cette reconfiguration du "souci de soi" n'a pas grand-chose à voir avec ce que Foucault avait analysé comme un ensemble des pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les individus se constituent et se reconnaissent comme sujets [tels que dans le monde gréco-romain]. » (p. 68)

4. « En contrepoint de ce dévouement [des « premiers de cordée » pour les autres], se dessine la figure de ceux qui, jaloux d'une telle réussite et habités par les passions tristes, leur "jettent des cailloux". On ne verra pas dans ce comportement contre-productif l'expression d'une protestation sociale ou même d'une révolte éthique contre l'inégalité ou l'injustice : il n'est que l'expression d'une frustration psychologique. On voit comment l'abolition des conflits, c'est-à-dire de la dimension proprement politique de l'existence collective (elle se traduit aussi par le célèbre "en même temps" ou par le "ni droite ni gauche"), conduit à une interprétation du social et de la vie démocratique dans les termes d'une psychologie collective pour le moins sommaire. » (p. 80)

5. « Or la confiance qui nous rend capables n'a pas seulement sa source en nous-mêmes : elle appelle un vis-à-vis et demande à être attestée par la reconnaissance d'autrui. On l'a déjà dit à propos de la responsabilité : c'est l'autre qui, en comptant sur moi, me constitue comme responsable de mes actes. Mais plus généralement, l'assurance d'exister comme sujet capable passe par la réciprocité ou la mutualité : on ne peut se penser comme sujet de sa propre vie que dans l'élément de l'intersubjectivité et des rapports sociaux. Comme l'a montré Axel Honneth, la reconnaissance des capacités humaines s'enracine dès les débuts de la vie dans des relations primordiales (affectives) qui donnent à l'individu une sécurité émotionnelle. Et elle ne peut ensuite se réaliser que sous des conditions juridico-politiques : à savoir la reconnaissance de l'individu comme sujet universel porteur de droits et de devoirs. Enfin, c'est à travers la considération sociale que se voient confirmées par autrui les capacités concrètes, effectives d'un sujet singulier au sein d'un groupe ou d'une communauté. » (pp. 85-86)

6. [ex Épilogue :] « Retrouver les réserves de sens que recèlent certaines idées et certains mots, initier un rapport nouveau au passé, réanimer sa profondeur vivante, n'est pas étranger à cette exigence [de faire émerger des manières inédites de penser et d'agir, selon les vœux de Hannah Arendt]. Car les dévoiements analysés dans ce petit livre témoignent, bien au-delà (ou en deçà) de la rhétorique de l'actuel président, de l'insidieuse mutation de notre univers mental et de la promotion d'un monde futur annoncé comme le seul possible. La matrice intellectuelle de ces dérives, dans la pensée comme dans la langue, réside tout d'abord dans un ensemble d'ambiguïtés difficiles si ce n'est impossibles à réduire. » (p. 100)

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