Voici un journal contemporain d'une jeune fille pluri-addicte, histoire à happy end d'une adolescente rebelle et nihiliste évoluant dans différents cadres de vie délétères où une place importante est accordée à deux relations sentimentales toxiques. Damien fait l'objet d'une passion amoureuse absolue, mais il entraîne la protagoniste dans sa consommation d'héroïne, le Serpent est un manipulateur alternant bienveillance avec violences et maltraitances. La protagoniste évolue de la prison pour mineurs, au domicile familial sans règles ni interdits, à différents lieux de squat et d'errance. Le contexte des relations familiales et de la sociabilité est également abordé dans la juste mesure.
Si l'itinéraire est assez attendu, conforme à un genre littéraire vieux désormais de plus de deux siècles dont quelques références littéraires et cinématographiques sont évoquées – cf. l'excellente anthologie thématique par Cécile Guilbert intitulée Écrits stupéfiants –, si les réflexions n'abondent guère, cette chronique a toutefois d'indéniables mérites stylistiques : les descriptions sont très soignées, servies par une langue relevant du registre de l'oralité d'une jeune fille d'aujourd'hui – avec tout ce qu'il comporte d'argotique, de vulgaire et de syntaxe hachée, qui confère au récit un grand effet suggestif ; la construction narrative est intelligente et bien rythmée ; l'évolution du personnage au fil des années est bien rendue : on ressent clairement la pratique de l'écriture numérique (chaîne YouTube « Lolita nie en Blog »).
Cit. :
1. « Quand j'ai débarqué dans ce monde, j'ai cru pouvoir être moi-même, évoluer et grandir avec ces gens et les drogues que je prenais. Pour moi, l'apprentissage de la vie se faisait par l'autodestruction. On ne pouvait pas évoluer sans se faire de mal. On ne pouvait pas se connaître sans se détruire. Je vouais un véritable culte à l'autodestruction, sous n'importe quelle forme, car c'est ce qui m'animait jour après jour, ce qui me poussait à me lever le matin, ce qui me rendait heureuse.
Dans la souffrance, je me sentais entière. Sans artifice. À ma place. J'aimais consommer jusqu'à l'excès, jusqu'à y laisser ma peau, parce que je savais que si je survivais, j'en sortirais grandie. Mais ces derniers temps, ça commençait à me lasser. » (p. 19)
2. « Cette semaine, on a abusé. La Sainte-Touche nous a donné des ailes, et on a consommé tous les jours, sans pause. Alex, dégoûté de voir Marie sombrer dans la came, a réagi comme moi, et a décidé de goûter aussi à l'héro, par opposition, je suppose. Fantasme de l'amour éternel, "tu plonges, je plonge", et toutes ces conneries. Mon cul. Ils ont juste rien à foutre ensemble. Marie m'a demandé de le convaincre de ne pas commencer, et bien sûr, j'ai fait le contraire. Aucune chance pour que je me tape le sale boulot à sa place. Les états d'âme, la bonne conscience, c'est bidon. Hypocrite. Je reste fidèle à moi-même, ça me plaît de voir d'autres gens sombrer avec moi. J'adore être la mauvaise influence, celle à qui on peut attribuer tous ses petits malheurs, histoire de se dédouaner de toute culpabilité. L'humain est tellement faible. » (p. 124)
3. « L'aiguille transperce ma peau et Zip m'injecte le produit, lentement, en me regardant dans les yeux. Son sourire de dément s'élargit à mesure que l'héroïne se répand dans mes veines.
De toute ma putain de vie, je n'ai jamais ressenti ça.
En la fumant, l'effet est déjà vraiment cool, mais tout à fait supportable. C'est une euphorie, mais une euphorie en ligne droite. Le shoot, c'est une montée de sensations en dénivelés, en loopings, comme un train qui déraille et qui s'encastre dans un monument historique, laissant s'échapper des millions de papillons de toutes les couleurs.
En à peine vingt secondes, j'oublie tout. Mes angoisses, ma mère, Damien, ce putain de mal-être qui me ronge. Je réponds au sourire de Zip en rigolant comme une démente. Je l'embrasse sur la joue. À cet instant, il est pour moi la personne la plus belle sur terre.
Ce que me procure l'héroïne, c'est ce dont j'ai besoin dans ma vie de tous les jours. Je suis heureuse, apaisée, confiante, j'évolue dans un cocon cotonneux, un doux leurre dont je ne veux jamais me réveiller. Mes endorphines dansent tellement dans ma tête que j'ai envie de chialer de bonheur, de parler avec les gens, d'ailleurs, je dois parler, mais seule. » (pp. 152-153)
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