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[Femmes sans hommes | Shahrnoush Parsipour]
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apo



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Posté: Jeu 03 Mar 2022 19:32
MessageSujet du message: [Femmes sans hommes | Shahrnoush Parsipour]
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Une jeune doctorante égyptienne m'ayant été adressée par une amie iranienne avait un sujet de recherche passionnant : l'étude comparatiste des œuvres des écrivaines féministes dans les littératures arabe et persane contemporaines. C'est par elle que j'ai pris connaissance de l'Iranienne Shahrnoush Parsipour. Romancière et essayiste appartenant à la génération de ceux qui connurent la prison politique avant même la Révolution islamique, établie aux États-Unis depuis 1992, c'est une autrice « classique » dont seul ce quatrième roman, Femmes sans hommes (1989) est actuellement traduit en français (dans une édition qui laisse beaucoup à désirer), sans doute parce qu'il a été adapté au cinéma par Shirin Neshat (« Women Without Men », 2009). Le traducteur-préfacier Christophe Balaÿ nous apprend que le tournant entre le XXe et le XXIe siècle est le moment où, dans la littérature persane, le genre romanesque commence à prévaloir sur la nouvelle qui possède une tradition vieille de siècles, et que devant son lectorat formé très majoritairement par des femmes, les autrices s'affirment et entreprennent d'explorer la condition féminine, d'un point de vue à la fois intimiste et engagé. Malgré le faible écart d'âge qui les sépare, Parsipour fait figure d'aînée et de pionnière face à Zoyâ Pirzâd, qui est relativement plus connue du public français (et également traduite par Ch. Balaÿ pour les éditions Zulma).
Ce roman garde à mon sens une forte marque du genre de la nouvelle, puisque sont d'abord présentées, consécutivement, les histoires des cinq femmes, de classes sociales et conditions très différentes, qui évoluent indépendamment l'une de l'autre dans le cadre des révoltes orchestrées par le Royaume-Uni et les États-Unis contre le Premier ministre Mossadegh en août 1953 (« opération Ajax »). Chacune de ces femmes vit une situation de domination sexiste, à la fois comme victime mais aussi comme facteur de conservation et de transmission du traditionalisme. Elles s'appellent : Mahdokht, l'institutrice rigoriste, en état de sidération à la vue d'une adolescente qui fait l'amour avec le jardinier, Fâezeh qui ne rêve que d'être épousée par Amir Khân, frère et presque assassin de son amie Mounés qui échappe deux fois à la mort, Farrokh-Laghâ, la grande bourgeoise mal mariée et maîtresse du prince Fakhroddin, et enfin Zarrinekolâh, prostituée dans un maison close. Ces histoires sont narrées avec un grand réalisme d'où point à peine un soupçon d'absurde qui peut être pris comme l'expression d'une psychose naissante. Aux deux tiers du livre, les quatre dernières de ces femmes prennent la route, à leur insu, vers une même destination qui n'est autre que la maison de campagne vendue par la famille de Mahdokht, où celle-ci s'est transformée en un arbre du jardin. Pendant quelques mois, ces quatre personnages féminins réunis dans cet espace domestique vivront « sans hommes », à l'exception du mystérieux et bienveillant personnage du « gentil jardinier ». Le croisement de leur chemin et leur brève vue communautaire constituent, à mon sens, le seul élément proprement romanesque du livre, et à l'évidence il n'est pas anodin que cette partie soit caractérisée par un style totalement différent, fondé sur le fantastique magico-symbolique, sur des références poétiques qui s'avèrent être assez obscures pour nous lecteurs occidentaux, sur des images métaphoriques tirées des philosophies orientales que l'autrice connaît en profondeur, et sur l'abandon de toute description réaliste de la vie quotidienne de ce petit groupe de femmes. Plus précisément, le seul élément réaliste, c'est le refus de la pérenniser : Fâezeh finit par revenir tout les jours à Téhéran pour renouer avec son ancien amour, Amir, et la riche propriétaire des lieux, Farrokh-Laghâ, se réinstalle aussi dans la capitale, en attendant que les autres femmes quittent les lieux.
Le bilan des revendications et de l'engagement féministes est donc assez modeste : la partie « réaliste » est campée dans la période historique pré-révolutionnaire, donc en rupture avec le cadre contemporain à l'écriture, et la vie « sans hommes » (sauf le jardinier gentil) est fantastique, métaphorique, et surtout, in fine, éphémère...


Cit. :


1. « L'homme est lui aussi allongé la tête tournée vers le ciel, les yeux grand ouverts.
- Ça va ? demanda Mounés.
- Je suis mort, répondit l'homme.
- Puis-je faire quelque chose pour vous ?
- Le mieux, c'est de vous en aller d'ici. Vous pourriez avoir des ennuis.
- Pourquoi ?
- Vous n'entendes donc pas ce vacarme ? C'est l'heure des règlements de compte.
- Et vous-même, que faites-vous ici ?
- Chère Madame, je vous l'ai dit : je suis mort.
- Bon ! Mais si je vous soigne, et que je m'occupe de vous, peut-être allez-vous guérir.
- Non ! Je ne pense pas ! C'est sans espoir. Un Français a fait un film avec ce titre : Les dés sont jetés ! (Les carottes sont cuites). J'en suis exactement au même point. Pour moi, les dés sont jetés !Mounés était extrêmement impressionnée.
- En tout cas, peut-être...
L'homme s'est carrément fâché :
- Va-t-en, je te dis ! Ce n'est vraiment pas possible !
Alors Mounés s'en est allée et, pendant un mois, elle a erré dans les rues. » (pp. 68-69)

2. « Le jardinier s'est éloigné et l'arbre s'est mis à chanter. Tous les hôtes se sont tus et chacun s'est installé calmement dans un coin. On aurait dit qu'une goutte d'eau avait très lentement pénétré la terre, comme si toute la compagnie avait pris place dans cette goutte semblable à un océan : goutte-océan qui s'enfonçait profondément dans le sol pour se charger des ardeurs de la terre. Dans cette interpénétration, des millions d'éléments se joignaient à l'eau et à la terre dans un ballet sans fin, danse lente et si rapide à la fois qu'elle emmêlait les bras et les jambes – les sucs volatils étaient absorbés par les racines et se mettaient à voyager lentement au rythme des fibres du bois. Les petits vaisseaux, semblables à des pelotes de fil, pendaient au plafond du ciel. » (pp. 185-186)

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