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[Le regret d'être mère | Orna Donath]
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apo



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Posté: Jeu 24 Fév 2022 15:34
MessageSujet du message: [Le regret d'être mère | Orna Donath]
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Voici une autre lecture suggérée par les essais de Mona Chollet sur un sujet encore tabou, inexprimé et donc difficilement verbalisable de la condition féminine : le regret d'avoir enfanté. À noter que ce regret, dans la manière dont il a été exprimé par la très grande majorité des femmes concernées, ne comporte ni un désamour pour leurs enfants (qui pourrait se pousser, dans sa forme la plus extrême, jusqu'au fantasme de leur disparition, très rarement mentionné), ni des comportements de maltraitance ou de négligence de la fonction maternelle (« motherhood ») - lesquels sont hélas bien attestés dans la réalité, mais n'apparaissent dans aucun témoignage ci-inclus. Il est question au contraire d'un rejet du « rôle maternel » socialement assigné, qui objectivise la mère en tant que pourvoyeuse de soin pour l'enfant et qui répond à des injonctions patriarcales et politico-sociétales notamment dans des sociétés natalistes, au lieu d'embrasser une vision subjectivante de la maternité en tant que « relation » humaine, dans tout ce qu'une relation possède de dynamique et de volontaire.
L'enquête sociologique ici présentée adopte la méthode qualitative par recrutement informel (forum en ligne et articles dans les médias, « bouche-à-oreille », « boule de neige »), et les rencontres individuelles n'ont abouti que sur 23 témoignages retenus, de femmes israéliennes juives, de différents âges, conditions sociales, et autres marqueurs socio-économiques. Si cette méthode est certainement la plus apte à faire ressortir le plus grand nombre de nuances et le meilleur approfondissement dans l'expression des divers points de vue individuels, il me semble absolument regrettable qu'un seul contexte national et culturel ait été exploré, d'autant plus que la société israélienne possède des spécificités très marquées aussi bien du point de vue de la politique de la natalité que du patriarcat biblique (par ex. l'injonction à avoir au moins trois enfants : « un pour le père, un pour la mère, un pour la patrie »... qui effectivement fait d'Israël le pays développé au plus haut taux de natalité au monde). Cela est d'autant plus regrettable qu'il est question d'une collaboration de la sociologue avec une autrice allemande (Margret Trebbe-Plath), et que la première édition du livre est parue en Allemagne : une étude comparative incluant un corpus interviewé dans ce pays européen aurait été, me paraît-il, tout à fait fertile ; de plus, les références bibliographiques, utilisées pour étoffer la théorisation des observations, sont très majoritairement anglo-saxonnes et allemandes (même si la présente édition a été traduite de l'anglais...).
Ces réserves étant posées, l'ouvrage se décline dans les 6 chap. suivants. Le chap. 1er, « Les voies de la maternité », s'occupe des injonctions sociales contemporaines relatives à la maternité, en termes soit biologistes (la « nature » de la femme) soit « postféministes, capitalistes et néolibéraux » (la maternité est un « choix »... à condition que les femmes fassent « le bon »... !), ce qui tend à occulter les pressions patriarcales et sociales vers la norme de la maternité qui s'articulent avec le véritable désir de maternité : l'autrice forge ici la notion de « volonté institutionnalisée » (cf. cit. 2).
La chap. 2, « L'exigence d'être mère », se penche sur les contenus des attentes sociales à l'égard des mères, à travers les stéréotypes de la « bonne mère » et de la « mauvaise mère », conformément à « l'éthique du care », en définissant non seulement les comportements mais surtout les sentiments jugés acceptables, jusqu'à une certaine forme très circonscrite dans le temps et dans la sémantique des sentiments d'« ambivalence ». L'écart entre les normes et le ressenti permet d'aboutir sur l'explication de la formule : « aimer ses enfants, haïr la maternité ».
Le chap. 3, « Le regret d'être devenue mère », s'intéresse aux manières exprimées de regretter la maternité, sachant qu'elles impliquent un renversement vis-à-vis du « regret légitime », qui est celui de ne pas avoir eu d'enfants à temps. Ce chap. se termine par un questionnement sur les « avantages et inconvénients de la maternité » effectivement jaugés, qui permet de cerner et préciser encore la notion de regret.
Le chap. 4, « Vivre avec une émotion illicite », se penche sur le trauma entraîné par les expériences de la maternité chez les interviewées, notamment en termes de « conflit entre le f ait d'être mère et le désir d'être mère de personne ». Ce chap., qui tient compte des « promesses » entretenues par la mythologie de la maternité comparées aux différents moments de l'expérience vécue par les femmes, quelles que soient leur hérédité de l'expérience maternelle de leurs propres mères ainsi que la présence ou l'absence (physique et symbolique) du père des enfants, est le plus articulé, et il se termine par l'exemple apparemment paradoxal des femmes qui, après avoir déjà ressenti le regret de la maternité, décident de réitérer l'enfantement, parfois à plusieurs reprises.
Le chap. 5, « Qui es-tu maman ? » se pose la question du silence ou de la parole (éventuellement anonyme ou posthume) relative au regret. Ayant surmonté les instances qui voudraient les réduire au silence, ainsi que l'hypothèse que les enfants disposeraient de toute façon des moyens d'une compréhension non-verbale des sentiments maternels, il est intéressant d'observer que les mères qui songent à l'une des deux décisions antinomiques, de taire ou d'exprimer le regret de la maternité à leurs filles (ou à leurs belles-filles) sont motivées par le souhait identique de les « protéger ».
Enfin le chap. 6, « Des mères sujets », permet de prendre le thème du regret comme une ouverture vers la condition nécessaire afin que la maternité (consciente et informée) soit une source de satisfaction. En d'autres termes, après avoir réfuté l'opinion répandue selon laquelle la satisfaction d'être mère ne dépendrait que des conditions matérielles et psychologiques de la femme, voire des politiques publiques (crèches, aménagement du temps de travail, redistribution des tâches au sein du couple), le chapitre développe brièvement la thèse que la véritable condition réside dans le passage d'une idéologie où les mères ont la position d'objets à celle de sujets, c-à-d. dans la métamorphose de la maternité comme « rôle » à la maternité comme « relation » (cf. cit. 1).


Cit. :


1. « […] Sachant que le regret fait partie des réactions émotionnelles humaines possibles dans toute rencontre entre plusieurs personnes et entre nous-mêmes et les conséquences des décisions que nous avons prises ou qu'on nous a forcées à prendre, regretter d'être devenue mère éclaire sous un nouvel angle notre (in-)capacité à appréhender la maternité comme une relation humaine parmi d'autres, et non comme un rôle ou un royaume sacré. Dans ce sens, le regret peut contribuer à commencer à déconstruire la notion selon laquelle les mères sont des objets qui ont pour seule mission d'être en permanence au service des autres en associant étroitement leur bien-être à celui de leurs enfants, au lieu de les reconnaître comme des sujets distincts dont le corps, les pensées, les émotions, l'imagination et les souvenirs leur appartiennent, et qui sont à même de décider si tout cela en vaut la peine ou non. » (p. 14)

2. « De tels désirs [de maternité] s'expliquent en partie par le besoin d'adhérer à la norme en matière de fécondité. Mais ils peuvent aussi refléter ce que j'appellerais une volonté institutionnalisée, une volonté faite à la fois des désirs des femmes et des attentes sociales. Cette volonté institutionnalisée peut ainsi être un sentiment bien réel – tant physique que mental – […], mais il n'est pas rare qu['il] soit le fruit de l'intériorisation par les femmes elles-mêmes des images qui sont socialement assignées exclusivement à la maternité. » (pp. 42-43)

3. « Certaines femmes dans mon étude ont également indiqué que la femme qu'elles étaient avant de devenir mère était relativement neutre en termes de genre, parce qu'elles avaient le sentiment de faire ce qu'elles voulaient sans être conscientes de leur "infériorité" due à leur condition de femme. […]. Le fait d'être devenues mères leur a donné le sentiment d'être enfermées dans un genre, celui de la femme qui n'est pas libre d'agir à sa guise comme si elle n'avait pas d'enfants. Bien que la société valorise cette féminité "ultime" qui passe par la maternité, plusieurs femmes […] ont décrit leur nouvelle expérience de la féminité ainsi que les contraintes que leur impose la société patriarcale comme une des pires choses qui leur soit arrivée après avoir enfanté, un piège auquel il est impossible d'échapper. » (p. 115)

4. « Considérer que la maternité ou la vie professionnelle sont les seules options qui existent pour une femme et qu'il n'y a par conséquent pas d'autre raison pour qu'une femme décide d'être la mère de personne revient à oblitérer la diversité des identités féminines qui ne se limitent pas à "être la femme parfaite" ou à "vouloir être comme un homme". […]
Le patriarcat (qui presse les femmes de devenir mères) conjugué au capitalisme (qui pousse à un "progrès" constant dans l'esprit du "marché libre") crée une fois de plus un choix binaire ne laissant aucune place aux femmes pour qu'elles puissent se considérer elles-mêmes et être considérées par autrui comme des êtres humains capables de déterminer par elles-mêmes quel est le sens de leur vie sans que ce soit nécessairement lié à la maternité ou au travail, ou de décider que le sens de leur vie, c'est justement qu'il n'y en a pas. » (pp. 204-205)

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