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[Psychopilules | Alberto Caputo, Roberta Milanese]
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apo



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Posté: Lun 21 Fév 2022 17:59
MessageSujet du message: [Psychopilules | Alberto Caputo, Roberta Milanese]
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Cet excellent essai de vulgarisation, par-delà ce que son titre laisse présager, dresse un procès à charge de la psychiatrie depuis le DSM-III (1980) et encore plus radicalement depuis le DSM-5 (2013), de l'industrie pharmaceutique dans le marketing qu'elle a adopté en faveur de la banalisation des médicaments psychoactifs, ainsi que des thérapies psychiatriques uniquement médicamenteuses au détriment des psychothérapies et en particulier de celles dites « comportementales cognitives et stratégiques brèves ». Mais il fait bien plus que cela : sur la base des recherches les plus récentes (jusqu'en 2018), présentées toujours dans les termes les plus accessibles, il répond aux questions récurrentes sur la nature des troubles mentaux : maladies du cerveau ou dysfonctionnements de la psyché ? D'origine génétique ou environnementale ? (chap. III) ; il introduit aussi les principaux types de molécules (chap. IV) et enfin, dans les deux derniers chapitres, il détaille les modalités de sa préconisation de thérapies mixtes associant l'usage de médicaments aux psychothérapies, déclinant au cas par cas la proportion relative des substances, la prescription de cette balance entre les deux se devant d'être fondée sur l'écoute de la parole du patient et sur une « contractualisation » des objectifs à atteindre, entre le médecin et le patient, en tenant compte d'une conception éthique ainsi que de l'importance des effets placebo et nocebo dans le traitement des troubles psychiatriques.
La prose est très accessible, les références abondantes et récentes, les conclusions nuancées. Le seul défaut, est une traduction plus « scientifique » (avec quelques maladresses sémantiques) que « littéraire »...



Table :

Chap. Ier. : Sommes-nous tous devenus fous ?
I.1. Quelques chiffres : les années 2000 et le boom des médicaments psychoactifs
I.2. Le diagnostic des troubles mentaux : un problème qui reste ouvert
I.3. Le DSM-5 et la médicalisation de la normalité.

Chap. II. : Un médicament pour chaque maladie
II.1. Le « disease mongering » ou l'art de vendre les maladies
II.2. L'homme ne vit pas seulement de science : le marketing créatif
II.3. Quand le médecin devient un « consommateur »
II.4. De la médecine « evidence-based » à la médecine « evidence-biased » : ce sont les données qu'on attaque
II.5. Les lignes de conduite pour une pratique optimale sont-elles fiables ?

Chap. III. : Les troubles mentaux sont-ils des maladies du cerveau ?
III.1. La naissance des médicaments psychoactifs : un merveilleux cas de sérendipité
III.2. Le paradigme centré sur le trouble : « comme l'insuline pour le diabète »
III.3. Le paradigme centré sur le médicament : « les drogues thérapeutiques »
III.4. Génétique ou milieu ? Un faux dilemme
III.5. Biologie et psychisme : l'oeuf ou la poule ?

Chap. IV : Connaître les médicaments psychoactifs
IV.1. Les anxiolytiques
IV.2. Les hypnotiques
IV.3. Les antidépresseurs
IV.4. Les antipsychotiques
IV.5. Les stabilisateurs d'humeur
IV.6. Les smart drugs
IV.7. Les psychostimulants pour traiter le TDAH
IV.8. Le cannabis : drogue ou médicament ?

Chap. V : Utilisation éthique et stratégique des médicaments psychoactifs
V.1. Ethique et stratégie : les deux faces de la même médaille
V.2. Quand le médicament est au cœur du traitement
V.3. Quand le médicament peut faciliter le traitement
V.4. Quand le médicament est surévalué
V.5. Quand le médicament devient la « tentative de solution » qui bloque le traitement
V.6. Enfants et adolescents : le médicament peut-il être le traitement ?
V.7. Et que disent les neurosciences ?

Chap. VI : « Faire avaler la pilule » : ce n'est pas uniquement une question de chimie
VI.1. Pilule rouge ou pilule bleue ? Aider les patients à décider de recourir à un médicament psychoactif
VI.2. Première rencontre avec les médicaments psychoactifs : le début du traitement
VI.3. Les visites de contrôle ou la phase de consolidation
VI.4. L'arrêt du traitement



Cit. :


1. « Rosenhal [1973] et sept collègues réussirent à se faire interner dans différents hôpitaux psychiatriques en affirmant "entendre des voix", mais sans modifier aucun autre aspect de leur vie et de leur histoire personnelle […]. Une fois internés, ils avaient cessé de simuler leurs symptômes et commencé à se comporter normalement mais, malgré cela, aucun d'eux n'avait été démasqué.
[…]
L'ensemble de leurs comportements, la prise de notes comprise, étaient interprétés comme pathologiques à l'aune de leur étiquette diagnostique. Étonnamment, le pot aux roses fut découvert par de vrais patients, qui leur dirent : "Tu n'es pas fou, tu es un journaliste ou tu enquêtes sur l'hôpital ?".
[…]
Mais la "prophétie autoréalisatrice" fonctionne aussi dans l'autre sens. À la suite de la publication de l'article de Rosenhal, le personnel d'un hôpital psychiatrique déclara qu'une telle erreur n'aurait pu se produire dans leur établissement. Rosenhal informa l'hôpital que dans les trois mois à venir, un ou plusieurs faux patients chercheraient à se faire hospitaliser chez eux. […] Pratiquement un patient sur cinq fut associé à une forte probabilité de feinte par au moins un membre du personnel. Dommage qu'il s'agissait dans tous les cas de vrais malades car Rosenhal n'avait envoyé personne dans cet hôpital ! » (pp. 19-21)

2. « Au début des années 1960, les chercheurs découvrirent que les substances psychoactives […] comme la chlorpromazine, l'imipramine et l'iproniazide avaient une influence sur les niveaux de certains neurotransmetteurs du cerveau. On supposa donc qu'il y avait un déséquilibre biochimique de ces substances à l'origine de troubles mentaux comme la schizophrénie et la dépression.
[…]
Le raisonnement logique adopté fut du type post hoc : au lieu de développer un médicament pour traiter une anomalie démontrée et dont on connaît la cause, on a supposé qu'il existait une anomalie en fonction du type d'action exercée par le médicament. Mais, d'un point de vue méthodologique, il n'existe a priori aucune raison pour que le mécanisme d'action d'un traitement doive être l'opposé de la physiopathologie du trouble. En effet, si nous appliquions la même logique à d'autres disciplines médicales, on pourrait affirmer que la cause de toutes les douleurs est une carence en opiacés, puisque les narcotiques antidouleurs activent les récepteurs des opiacés ou bien que le mal de tête et la fièvre sont causés par de faibles niveaux d'aspirine dans le cerveau […]. » (pp. 70-71)

3. « Selon le modèle centré sur le médicament, les médicaments psychoactifs ne produiraient pas d'effets spécifiques sur des troubles précis, mais des réponses semblables chez des personnes atteintes de troubles différents, agissant sur des fonctions cérébrales très générales qui ont le pouvoir d'influencer simultanément divers systèmes, tant émotionnels que comportementaux. Cela expliquerait pourquoi des catégories de médicaments psychoactifs très différents agissent de manière transversale sur toute une gamme de troubles, sans démontrer aucune "spécificité", contrairement à ce que supposait le modèle centré sur la maladie. » (p. 82)

4. « On estime en particulier qu'à la base d'actions de ce type [c-à-d. suicidaires], tout comme d'actes agressifs et violents rapportés après la prise de ces substances [les antidépresseurs], il peut y avoir un phénomène d'akathisie. […] On traduit souvent le terme d'akathisie par agitation, mais il s'agit en réalité d'une condition bien plus complexe, faite d'une sensation d'anxiété et d'agitation intérieure associée à celle de ne pas se sentir soi-même. De nombreux patients ont décrit cet état comme le désir de "sauter hors de soi", pensant trouver dans le suicide une sorte de "libération". » (pp. 115-116)

5. « Dans les années 2000, on assiste ainsi à un paradoxe qui voit le monde médical non psychiatrique s'efforcer de retrouver la dimension du rapport au patient, alors même que la psychiatrie, dont la parole devrait être le premier instrument d'intervention, semble l'avoir oubliée ou nier son importance. Nous trouvons donc des oncologues, des cardiologues et des généralistes […] qui étudient ou se forment à la communication entre médecin et patient, alors que les psychiatres se désintéressent totalement de la question, considérant que cela ne fait pas partie des compétences spécifiques à leur profession. Mais ce paradoxe se comprend aisément si l'on se souvient que c'est grâce à la naissance de la psychopharmacologie que la psychiatrie a finalement trouvé sa place parmi les autres disciplines médicales. Redonner son importance à la "parole" peut réveiller la peur que l'intervention psychiatrique perde son caractère scientifique et sa rigueur, deux caractéristiques si longtemps et ardemment recherchées. » (p. 182)

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