La fleur de l’ombre.
Entre les gargouilles et les chimères, Baudelaire est happé par le vide, les ailes brisées. A son réveil, hébété, il fixe un chat juché sur une horloge. Jeanne Duval repose nue à son côté. Il lui déclame les vers qu’elle lui a inspirés la nuit puis le grand miroir de la chambre réfléchit leurs ébats amoureux. Le prologue admirablement posé, Yslaire va ensuite dérouler la vie du poète maudit en commençant par son enterrement au cimetière Montparnasse, le 31 août 1867. Jeanne est en arrière-plan, dans les replis de l’histoire mais par le prisme de son regard et de ses souvenirs, elle va exposer la vie de Charles Baudelaire : l’enfance, le voyage vers les Indes, la bohème parisienne, leur relation tumultueuse, les attaques syphilitiques, l’envol du poète. Le récit est puissant, prenant, intelligent. Le graphisme est superbe par le trait réaliste et charbonneux, précis et inspiré ; les couleurs splendides délivrent des ambiances exceptionnelles ; les mises en page étourdissent quand des doubles-pages composent des tableaux magistraux. Le lecteur apprend à aimer Jeanne, comprenant la solitude du plus grand poète de la langue française, dédaigné de son temps mais « abordant heureusement aux époques lointaines ». L’épilogue noue l’ensemble avec une rare maestria puisque le « repentir même, ô la dernière auberge ! » s’efface pour faire émerger de l’ombre du tableau de Courbet la muse consolatrice au-dessus du portrait de Baudelaire.
Paru initialement en trois cahiers chargés d’esquisses et de travaux préparatoires, le chef-d’œuvre de Bernard Hislaire composé en 150 pages donne à voir le spleen et l’idéal emmêlés comme le serpent sur le caducée.
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