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[Peau | Dorothy Allison]
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apo



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Posté: Sam 15 Mai 2021 16:43
MessageSujet du message: [Peau | Dorothy Allison]
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Ce livre est un recueil de textes autobiographiques de l'auteure : militante féministe, lesbienne, issue de la classe pauvre et précaire blanche du Sud des États-Unis, victime dans son enfance de l'inceste et des violences familiales de son beau-père et d'une figure maternelle dégradée, victime ensuite d'un milieu hostile dans une période d'homophobie armée et des ravages de l'héroïne et du sida, unique parmi ses proches à avoir fait des études supérieures et à s'être libérée, par le militantisme et l'écriture, de la « prédestination » de devenir une prolétaire, adolescente mère seule entourée d'hommes violents, délinquants accumulant la prison aux addictions.
Ces textes sont tour à tour des remémorations et considérations sur son passé ; des dénonciations des inégalités et des multiples stigmatisations, mais surtout dénonciations des représentations de la classe populaire – soit portraiturée comme angélique et héroïque, soit au contraire décrite de manière méprisante, haineuse et culpabilisante ; des réflexions sur sa sexualité lesbienne, elle aussi représentée habituellement par ces deux mêmes biais ; enfin des essais sur la littérature, qui se présentent comme une poétique de sa propre écriture engagée.
Il est émouvant de retrouver une quête obsessionnelle de la vérité de l'écriture, sachant combien cette notion est problématique dans la fiction, ainsi que toute l'intransigeance requise pour légitimer une littérature militante lesbienne, féministe et de classe populaire, ainsi que pour en financer les supports. Souvent cette poétique est développée sous forme d'expériences menée en atelier d'écriture, d'abord en tant que participante, puis qu'animatrice.
Le résultat de cette quête de vérité ressemble à du masochisme : la classe populaire, libérée par Allison de ses stigmates humiliants, révèle néanmoins ses bassesses – le racisme, la violence, la misère intellectuelle, l'intolérance envers ses propres membres ; le mouvement féministe révèle sa fragmentation et ses contradictions de classe, de « race » et d'orientation sexuelle ; l'on s'attend enfin de la littérature lesbienne soit une minoration de l'importance du sexe, soit son édulcoration, soit des stéréotypes dans lesquels Dorothy Allison ne se reconnaît absolument pas.
Néanmoins, il semble que la radicalité de la vérité recherchée soit conçue par l'auteure comme la condition nécessaire à toute catharsis salvifique. Chargée à la fois de significations éthiques et politiques, elle représente le présupposé même de la révolution. Dans cette optique, l'auteure ne craint pas de révéler ses propres faiblesses, parfois ses contradictions, souvent sa vulnérabilité dans ses rapports à son passé, à sa famille, à sa mère, à son premier amour... - cf. le texte à mon avis le plus intime, l'avant-dernier, intitulé : « La peau, là où elle me touche ».
Les chapitres sur le sexe, qui paraissent parfois outrancièrement « pornographiques » - ainsi les définit-elle elle-même – doivent donc se lire selon cette même perspective implacable : la notion de « monstre » y apparaît régulièrement ; et précisément, c'est par le scabreux, l'« obscène », l'hyper-sexualisé que Dorothy Allison parvient à se sauver de son inquiétude d'être monstrueuse – un paradoxe convainquant.

[Mon évaluation synthétique de la lecture reflète, comme d'habitude, les connaissances acquises, la réflexion et l'envie d'approfondissement suscitées par le livre ; dans le cas présent, si je m'en tenais au contraire à mes émotions et à l'appréciation humaine de la démarche de l'auteure, je lui attribuerais une étoile de plus.]


Cit. :


1. « Lorsque ma petite sœur et moi-même avons finalement utilisé le mot "inceste", et avons parlé de la pire des choses, la haine quotidienne que nous respirions en tant que filles, elle m'a dit qu'elle ne laisserait aucun homme "comme ça" être seul avec ses filles. […] J'ai dû lui dire que le monde est plus grand, plus compliqué, et plus méchant que ce que quiconque nous avait dit, et que les outils pour l'affronter existent, mais que l'on doit les inventer soi-même et se les fabriquer au fur et à mesure que l'on avance dans la vie.
Une des raisons pour lesquelles j'écris est de créer mes propres règles, de forger mes propres outils, afin de montrer à mes sœurs les choses que j'ai apprises. […]
Une autre raison pour laquelle j'écris, c'est cette femme dans la chaise en face de moi, celle qui n'a pas vécu ma vie mais a vécu ce que j'ai vécu. » (pp. 63-64)

2. « Le problème que j'ai rencontré avec l'abondance des relations sexuelles fut la répétition. Je n'ai sacrifié à aucune discrimination de goût dans ma poursuite d'une illustration incertaine de l'expérience. Et tandis qu'une grande partie des femmes semblaient avoir perfectionné de bonnes premières répliques et une ou deux histoires irrésistibles, très peu avaient le talent et l'agressivité que je prisais, une nature verbale et une imagination aussi poussées que les miennes, combinées à la résolution d'en faire usage. » (p. 148)

3. « La pire chose que l'on nous ait faite au nom d'une société civilisée, c'est d'avoir décrété que la vérité constituée par le matériau vivant que sont nos vies ne faisait pas partie des sujets valables, des sujets qui comptent pour des écrivains sérieux. Nous ne sommes pas supposés parler de notre sexualité, ou alors pas autrement que dans les termes les plus généraux et avilissants, nos passions réduites à des penchants ou sujettes à des théories mal élaborées de déviance et de compulsion, nos légendaires relations amoureuses récrites sous la forme de ternes interactions entres meilleurs amis ou de système de dépendance et de solutions économiques nécessaires. » (p. 231)

4. « Je me dis que la vie est une longue lutte pour se comprendre et s'aimer pleinement. Que pour garder la foi en ceux qui m'ont littéralement sauvé la vie, et qui ont rendu possible d'imaginer pour moi-même plus qu'une survie, je dois constamment essayer de comprendre plus, d'aimer plus pleinement, d'aller toujours plus nue afin que les autres soient autant en sécurité que je veux l'être moi-même. » (p. 284)

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