Déclenchées par l'enterrement d'un mystérieux Juif égyptien au cimetière de Pantin, Zohar de son nom et de son prénom, dont le corbillard est accompagné par une bande bariolée de joueurs d'instruments disparates prêts à tomber en transe ainsi que d'une ancienne prostituée napolitaine, Livia Iacopetti, deux histoires de survie et de vengeance s'emboîtent dans ce roman historique, histoires que cette femme confiera lentement au narrateur, François, le fils abandonné de Zohar Zohar, dont la « naissance », sous le nom de Karim « le généreux » par une autre transe induite par la même Société des Belles Personnes dans une cour vétuste du Caire, constitue l'excipit.
Le nazisme ne disparaît pas par enchantement en 1945, la soif de justice et l'élan de vengeance des rescapés de la Shoah ne s'éteignent pas avec le procès d'Eichmann en 1961 et encore moins avec la conférence de presse de Charles de Gaulle du 27 novembre 1967 qui annonce le changement de la politique de la France à l'égard d'Israël.
En juillet 1952, à la chute du veule et corrompu roi Farouk et suite à la défaite militaire égyptienne contre l'État hébreu nouvellement proclamé, cette armée est infiltrée par de nombreux anciens officiers nazis, passés par le Vatican et désormais très zélés dans le démantèlement des millénaires quartiers juifs du Caire. Au milieu du chaos du coup d’État de Nasser, Zohar Zohar, le fils d'Esther, femme juive d'origines très humbles mais initiée aux rites ancestraux par la « kudiya » de Bab el-Zouweila, est persécuté et torturé par l'ancien lieutenant-colonel SS Dieter Boehm ; il est contraint à l'exil de même que le roi Farouk et son entourage dont il faisait partie.
En France, dès 1946, se retrouvent et s'unissent Aaron, rescapé de Lituanie, Lucien, ancien étudiant en médecine torturé par un collaborateur, et Paulette, seule rescapée de Ravensbrück parmi les membres de sa famille. Chacun pourchasse des anciens nazis en cavale et ils organisent ensemble des attentats punitifs. Leur proie la plus convoitée serait de Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amine al-Husseini, ami d'Hitler et voix arabe des appels au meurtre des Juifs, depuis Berlin jusqu'au 15 mai 1945, puis protégé par le Quai d'Orsay dans une belle villa de Saint-Maur-des Fossés jusqu'à son exfiltration au Moyen-Orient, en toute impunité. C'est tout naturellement que Zohar, lors de son arrivée en France, se greffe à ce petit groupe de rescapés, dans la cohabitation en carré amoureux, dans les affaires professionnelles diurnes et les missions nocturnes : « Ils savaient au fond d'eux-mêmes qu'une bande d'orphelins réunis par le sexe, l'amour et la vengeance tentaient de reconstituer une famille, de remplacer la nostalgie des disparus par l'intensité de l'inattendu. » (p. 366).
Une troisième histoire n'est qu'esquissée, car Livia Iacopetti, la figure tutélaire rencontrée au premier instant du débarquement du naufragé Zohar au port de Naples, ne la connaît qu'à peine : la rencontre de celui-ci avec Marie et la naissance de leur fils François en 1965, puis la disparition du père en 67, peut-être pour traquer Dieter Boehm au Paraguay, peut-être lassé par la France où de Gaulle a fait volte-face, où trop d'anciens collabos et d'anciens SS sont passés par l'Algérie ou par Diên Biên Phu en rejoignant la Légion étrangère... On ne connaît l'histoire de Marie ni comment François, intégrant l'élite républicaine par l'excellence de ses grandes écoles, devient diplomate, spécialiste du Moyen-Orient, pressenti pour un poste important qui ne lui sera au final pas octroyé lorsqu'on se rendra compte, in extremis, que son sujet de doctorat portait sur l'affaire de la protection française du Grand Mufti en 1946... Mais on sait que François accepte in fine l'héritage du père inconnu, qu'il naît à sa généalogie par une initiation extatique dans le quartier de Bab el-Zouweila, qu'il naît avec le sourire.
Cit. :
« Une fois par mois, c'était institué, ils retrouvaient leur groupe de vengeurs dans l'arrière-salle d'un café de Ménilmontant. Ils étaient de moins en moins nombreux. Le groupe avait fondu. De la cinquantaine de rescapés qui se réunissaient en 1947, il n'en restait guère plus de vingt. Ils cédaient l'un après l'autre, c'était inéluctable, aux sirènes des institutions établies. Les uns s'engageaient au parti communiste ou dans les syndicats, "pour poursuivre la lutte", prétendaient-ils. D'autres choisissaient le combat sioniste et disparaissaient, parfois en émigrant en Israël. Et puis, il y avait ceux qui, lentement, sombraient dans la normalité, qui se mariaient, faisaient des enfants, recherchaient un emploi stable et tentaient de se fondre dans la masse. Paulette se moquait de ceux-là, leur prédisant un jour ou l'autre la résurgence explosive de leurs passions étouffées. » (pp. 366-367)
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