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[La maison du docteur Blanche | Laure Murat]
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apo



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Posté: Ven 31 Jan 2020 22:12
MessageSujet du message: [La maison du docteur Blanche | Laure Murat]
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Je sors de cette longue lecture avec un sentiment de stupeur pour avoir si longtemps ignoré une institution qui, à l'évidence, a dû avoir une très grande importance dans le l'Histoire intellectuelle et mondaine de la majeure partie du XIXe siècle en France. Il s'agit d'une « hôtellerie pour fous » privée et très onéreuse, qui a vu défiler en son sein ou à ses alentours les plus grands noms de l'époque : Gérard de Nerval, la comtesse de Castiglione, Marie d'Agoult alias Daniel Stern – la mère des enfants de Liszt –, Charles Gounod, différents membres de la famille de musiciens et lettrés Halévy, dont Léonie, épouse de Fromental, et Geneviève, épouse de Georges Bizet, et encore Théo Van Gogh, le frère de Vincent, Michel Verne, le fils de Jules, et – last but not least – Guy de Maupassant qui y mourut horriblement. Il ne manque à la liste que Baudelaire, et nous savons que son absence ne fut due qu'à des raisons pécuniaires...
Deux questions m'ont accompagné en permanence : au-delà de la syphilis (ne concernant que quelques-uns de ces personnages) qui sera soignée un siècle plus tard par de la simple pénicilline, ainsi que des causes sociologiques de l'hystérie, comment expliquer cette boucle néfaste ou cette prophétie autoréalisatrice qui semble relier le Romantisme à la folie (et à son admiration) ? Et d'autre part, comment justifier le succès inouï de cette maison de santé transmise de père (Esprit Blanche - 1796-1852) en fils (Emile Blanche - 1820-1893) durant plus des trois derniers quarts du XIXe s., qui, de toute évidence, ne pouvait se vanter que d'un taux de guérisons dérisoire, d'ailleurs très logiquement proportionnel à l'ignorance abyssale des maladies mentales à l'époque et à la survivance de méthodes thérapeutiques intemporelles : saignées, purges, bains, promenades, sans (encore) aucune expérimentation des substances psychotropes autrement que comme des drogues – éther, opiacés, absinthe –, ni le début d'une réflexion sur des thérapies proprement psychiques ?
Je me donne quelques éléments de réponse : dans le flou des définitions de « mélancolie », « lypémanie » et de « délires », il était admis qu'un surmenage intellectuel s'apparentait ou pouvait provoquer la folie : les créateurs intellectuels pouvaient donc en être plus souvent atteints que les autres. Certains pensaient même que le génie en était une forme. Par ailleurs, la grande innovation d'Esprit Blanche, emboîtant le pas de Philippe Pinel et d'Etienne Esquinol, fut de libérer les psychopathes des sévices physiques – sinon peut-être moraux. Les hôpitaux publics, qui coûtaient vingt fois moins cher que la pension chez les Blanche, devaient certainement conserver la rudesse des anciens usages. À l'opposé, outre que la mansuétude caractérielle des deux aliénistes, ceux-ci offraient à leurs patients de leur temps sans compter, des conditions de vie tout à fait privilégiées, une certaine discrétion et même la conversation et parfois la table d'un praticien cultivé, puriste de la langue et humaniste dans l'âme, mélomane, collectionneur et sensible aux arts – ce sera d'autant plus le cas lorsque Jacques, le fils d'Emile, se fera une certaine renommée dans le milieu de la peinture. Il est évident que certains patients, si bien entourés, soumis à une hygiène de vie exemplaire, aient pu presque se sentir guéris... Une mondanité toujours savamment entretenue, avec une faiblesse pour les décorations, une inébranlable modération politique, une dévotion maniaque pour sa « maison » et ses patients, et enfin une bienveillance universellement reconnue expliquent pour leur part le phénomène de mode. Il est intéressant de comparer la personnalité d'Emile Blanche avec celle de son grand rival que tout opposait mais qui décéda presque en même temps que lui : Jean Martin Charcot.

Ce livre est un monument de documentation, apte à peindre tout un horizon culturel et une époque entière. On peut lui faire le reproche, cependant, de n'avoir pas su trancher entre : la description de la « Maison du Dr Blanche » comme institution, éventuellement en s'arrêtant sur l'évolution des thérapeutiques entre père et fils, c-à-d. sur l'aspect plus proprement psychiatrique ; la biographie des deux (voire trois) héros – Esprit, Emile, Jacques Blanche - ; ou bien la narration de leurs rencontres avec les personnages célèbres. Tour à tour, et selon un fil qui reste surtout chronologique, il y a un peu de tout cela, y compris un chapitre très séduisant intitulé « La folie au féminin » qui, de surcroît, est le seul qui donne d'Emile Blanche un portrait franchement antipathique pour le lecteur contemporain, pour peu qu'il ait un minimum de sensibilité féministe : face à Marie Esquiron, l'on saisit une autre facette de la psychiatrie du XIXe siècle, totalement idéologique et misogyne.


Cit. :


« Dernier avatar d'une idéologie de l'exclusion ou produit de l'utopie démocratique, l'asile demeure cet appareil normatif dont l'instauration coïncide avec l'avènement de la société bourgeoise. En superposant naturellement les structures du modèle asilaire et de la pension de famille, la maison de santé du Dr Blanche apparaît ainsi comme un symptôme parfait de son époque, un emblème redoublé de l'ordre scientifique et social. Car à Montmartre, les aliénés vivent avec les Blanche dont ils partagent les repas, la maison et le jardin qu'une haute palissade coupe en deux, afin de séparer les malades les plus dangereux des autres pensionnaires lors de la promenade. » (p. 45)

« Les modalités de ce traitement moral laissent surtout une question cruciale en suspens : le Dr Blanche a-t-il encouragé Nerval à écrire ? Mieux : lui a-t-il demandé de coucher ses rêves sur le papier à des fins thérapeutiques, ce qui ferait de lui un précurseur à bien des égards ? » (p. 144)

« On ne s'étonnera pas, dans ce contexte, qu'à "l'Hôpital de la Déraison", les diverses manies s'attachent essentiellement à trois objets : Dieu, le sexe et l'argent. Un seul concept recouvre ces trois invariants, pour les exalter ou les éradiquer : la famille.
[…]
Dans une époque qui voue également un culte au progrès de la science et découvre les théories de Darwin, le seul vrai rival du prêtre, c'est le médecin. Le prêtre, le médecin : deux figures clés du XIXe siècle, deux hommes en noir pour exorciser la folie et livrer des réponses morales à des tourments psychiques. » (p. 231)

« Le destin n'a pas voulu qu'Emile Blanche vive les débuts de la psychanalyse. Sa méfiance, sa raideur même à l'égard du changement et des "idées modernes" l'auraient sans doute détourné des audaces théoriques sur la sexualité infantile ou l'interprétation des rêves. Ses nombreux rapports d'expertise médico-légale révèlent cependant l'intérêt croissant de la psychiatrie pour l'archéologie des névroses et ce qui allait devenir les préoccupations majeures de l'oeuvre freudienne : rôle de l'enfance, origine des traumatismes, pulsions inconscientes, etc. Emile Blanche n'aura certes pas fait œuvre de précurseur à l'heure où la psychanalyse est encore loin de constituer un système de pensée. Mais dans le détail de ses descriptions et la qualité de ses observations, des pistes, des éléments encore innommés, affleurent comme le motif d'une photographie en cours de révélation dont personne ne saisit encore le sens. » (p. 466)

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Swann




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Posté: Jeu 06 Fév 2020 20:28
MessageSujet du message:
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Sachant l'amour que les psychanalystes ont pour les jeux de mots, spécialement ceux qui sont capillotractés, je me suis toujours demandé si Nerval n'avait pas directement interpellé son thérapeute dans le message qu'il laisse avant de se suicider ("la nuit sera noire et blanche").
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