Ce livre est un traité d'athéisme, mais épuré de l'attitude hargneuse ou haineuse – et pour tout dire un peu infantile – qui, hélas, caractérise parfois les essais qui attaquent les religions et tentent de convaincre le lecteur avec les mêmes arguments que celles-ci adoptent dans leur prosélytisme. À vouloir être précis, cet ouvrage ne s'en prend même pas aux religions, mais il tente de dépasser « l'impérieux besoin de croire », en en analysant les ressorts par une approche littéraire. En effet, en absence de la croyance, ou lorsque celle-ci est épuisée comme c'est le cas pour la mythologie antique, la divinité ne tient plus qu'aux caractéristiques des différents textes littéraires (éventuellement issus de récits oraux) qui la narrent. Dès lors, il est parfaitement légitime d'appliquer aux dieux des polythéismes ou à chacun de ceux des monothéismes les mêmes critères de vraisemblance qui s'appliquent aux personnages romanesques. Et d'ailleurs, la crédibilité du texte « sacré » gagne à être passée au crible d'une analyse littéraire qui tienne compte des circonstances de sa rédaction – singularité ou plus souvent multiplicité des auteur(s), circonstances historiques de parution et fortune de l’œuvre, homogénéité ou hétérogénéité géographique et culturelle des transcripteurs entre eux et par rapport aux croyants, interventions des exégètes, rôle interprétatif et/ou normatif des clercs, connivence avec le pouvoir, etc. J'insiste sur l'importance de la mythologie dans la démonstration ; en effet si d'emblée il peut paraître presque blasphématoire de comparer la crédibilité de Jésus à celle de Jean Valjean ou d'Emma Bovary, le propos devient beaucoup plus convainquant lorsqu'on passe par l'intermédiaire d'Athéna ou d'Osiris, auxquels pendant des siècles voire plusieurs millénaires des sacrifices certes non symboliques furent offerts en toute bonne foi, par des croyants intellectuellement tout à fait comparables à nous, les modernes...
Aussi, après un Préambule extrêmement illuminant sur la démarche du travail et ses intentions, plus de la moitié du livre se compose du ch. Ier, « Un principe divin étayé par la fiction », qui analyse sub specie de récits : l'animisme, le polythéisme, le monothéisme juif, le christianisme et l'islam. Une partie très détaillée et savante est consacrée à la Torah, à toutes ses incongruités et incohérences dans ses superpositions chronologiques, mettant en relation les vicissitudes historiques des Hébreux avec la perte de souffle d'un monothéisme qui n'a été que très progressif et graduel dans le texte biblique, requérant un « fondamentalisme » toujours accru du personnage de la divinité afin de revigorer la foi du peuple. Dans le christianisme aussi, il est question de sa fortune historique liée à la fois à la croyance polythéiste minée par la philosophie grecque (surtout par Platon) et par une bonne dose d'opportunisme politique au sein de l'empire romain trop étendu en quête d'une nouvelle force unificatrice. Néanmoins, le récit évangélique contenant aussi des absurdités logiques, il a requis dès les premiers siècles des interventions interprétatives-théologiques-dogmatiques (les Conciles, etc.) qui ont conduit inévitablement, pour garder la crédibilité de la doctrine, à des schismes, hérésies et persécutions conséquentes. Enfin l'islam est le fruit d'une ambiguïté quant à sa continuité ou rupture avec les deux monothéismes précédents, d'ailleurs imparfaitement connus, compris et reformulés par Mohammed, sans compter des caractéristiques stylistiques propres au Coran, texte conforme aux genre poétique de la Péninsule Arabique de l'époque, destiné donc à être récité et non lu, et rédigé comme dicté par Allah, à qui, de ce fait, incomberaient toutes les incongruités voire contradictions contenues dans un texte par ailleurs très peu narratif et extrêmement fragmentaire.
Cette partie historique peut paraître relativement disproportionnée par rapport aux trois autres chapitres : « II. Un clergé en charge de l'exégèse », « III. Un impérieux besoin de croire », « IV. Pour une mystique de l'athéisme », qui sont plus philosophiques et d'où, je m'aperçois, j'ai tiré toutes mes cit. D'autre part, l'on peut comprendre que le travail sur les textes, par ailleurs moins philologique que contextuel, constitue bien davantage qu'une simple exemplification : il représente le corpus même d'une analyse littéraire. Il n'empêche que j'ai trouvé le ch. III particulièrement intéressant, et que les dernières pages du ch. IV, qui comportent des réflexions sur la mort, sont à lire et à méditer avec le plus grand soin...
Cit. :
« En fait, l'idée de dieu ne prospère que sur l'imperfection humaine ; elle vient chaque fois en renfort pour masquer et combler ce qui à l'homme fait défaut : manque de connaissances, manque de sécurité, manque d'amour... Loin de nous persuader de l'existence d'un principe supérieur, cette obsession du manque apporte la preuve que l'homme, en raison même de l'incomplétude où il se trouve dès la naissance, est un être en devenir. C'est justement à partir de cette temporaire imperfection, transformée par la religion en une insuffisance qui affecte le cœur même de son être, que prend corps "l'argument ontologique", mis au par Anselme de l'abbaye du Bec-Hellouin, futur archevêque de Cantorbéry, célèbre pour être la première tentative de prouver l'existence de Dieu. » (p. 234)
« Pur sophisme que d'imaginer comment les religions monothéistes, en rendant toujours plus abstraite l'idée de Dieu, collent davantage à la vérité. Or, par une sorte d'effet pervers en retour, à force d'en épurer le concept, sans s'en rendre compte elles ont eu tendance à dissoudre dans ce trop d'absolu l'objet qui jusque-là leur avait servi de référence. À force d'avoir accumulé dans le dieu unique tous les superlatifs qui étaient à sa disposition, l'humanité s'est coupé l'herbe sous le pied, a tari les ressources de son imagination, a brisé le ressort de toute fiction, n'a plus trouvé matière à relancer un récit qui s'est épuisé de lui-même. Les religions monothéistes en sont ainsi réduites à contrebalancer par la théorie la fâcheuse impression que Dieu a en effet cessé de parler aux hommes, a pris ses distances, est retourné à sa parfaite et souveraine indifférence.
Jouant leur survie, et pour ne pas relâcher leur emprise sur l'esprit des hommes, en l'absence de toute manifestation nouvelle et crédible de Dieu qui relancerait la croyance, les religions monothéistes en sont souvent réduites à perfectionner les mécanismes de la soumission, à jouer la carte du fanatisme. » (p. 266)
« La religion est le trou noir de l'intelligence, par où sa lumière et sa clairvoyance s'engouffrent pour disparaître à jamais. » (p. 270).
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