Après m'être penché sur la vulve mythologique et fantasmatique, je me suis tourné vers la vulve historique. Diane Ducret, dans cet essai, offre une étude, diligente dans sa riche documentation, instructive, inattendue dans certains thèmes abordés et très agréable à lire, des pratiques et des représentations collectives du sexe féminin. Dans une répartition en trois parties - « Divin abysse », « Indomptable organe », « Difficile liberté » - qui, de chronologique, devient de plus en plus thématique, nous sommes hélas les témoins, à quelques exceptions près, surtout des sévices qu'il a subis, innombrables et parfois innommables, dans de nombreux endroits et trop souvent dans l'Histoire.
L'antiquité ne fait l'objet que du premier chapitre, où l'on découvre la vision monstrueuse de « l'animal affamé » que Platon laissera longtemps en héritage à L'Occident, ainsi que la figure d'Agnodice qui, dans l'Athènes du IVe s., aspire, la première, à accompagner les femmes ses semblables dans l'accouchement.
D'un grand bond de plus de mille ans, avec une incursion par la doctrine de la virginité construite par la scolastique, on passe à Jeanne d'Arc, dont la crédibilité dépend strictement de son état de pucelle ; d'ailleurs une cinquantaine d'années plus tard, en 1486, le dominicain allemand Henri Institoris publie Le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), vade-mecum pour inquisiteur, très porté sur le « vagin insatiable »...
La Renaissance, dans la personne de Realdo Colombo, apporte la découverte du clitoris et la guerre de Catherine de Médicis et de Ronsard contre les « godmicy » ; une grande diffusion aussi, hélas, de la ceinture de chasteté...
La première partie du volume se se termine par une incursion dans les Lumières, où le libertinage « est l'apanage des hommes et la maladie des femmes ».
La deuxième partie comporte principalement le XIXe s., et sa panoplie de brutalités contre le clitoris (dont l'ablation serait presque la plus bénigne, si elle n'entraînait pas autant de décès...) au nom de l'hystérie ; pourtant, dans l'Angleterre victorienne, Richard Francis Burton importe le Kâma-Sûtra, Les Mille et Une Nuits, et Le Jardin parfumé de Cheikh Nefzaoui...
« Des poilus aux poilues » se consacre à la représentation de moins en moins scandaleuse des poils pubiens en peinture ainsi qu'à la poésie érotique française de la Belle Époque. Environ à la même époque, se développent en parallèle les revendications du suffrage universel et les tentatives de développement d'une industrie de l'hygiène intime féminine. Le chapitre suivant, « Le petit caporal de Marie Bonaparte », est consacré à la frigidité de cette dernière et à ses rapports avec Freud. Suit, sous le titre : « Les aiguilles de Cherbourg », l'histoire de Marie-Louise Giraud, condamnée à la guillotine en juin 1943 (!) pour avoir pratiqué des avortements, et rétrospectivement le long parcours de persécutions des femmes ayant voulu priver le légitime propriétaire masculin (ou social !) du fœtus grandissant dans leur matrice... L'après-guerre est le temps des tontes et rasages punitifs, mais un retour est fait sur les méthodes de stérilisation expérimentées par les nazis dans les camps. Le dernier ch. de cette partie se penche beaucoup trop rapidement sur la colonisation africaine : j'y ai puisé cependant la cit. infra.
La troisième partie du volume concerne des thèmes spécifiques de l'après-guerre : les péripéties de la contraception, l'acquisition du tableau de Courbet : « L'Origine du monde » par le couple Lacan-Sylvia Bataille, les enjeux idéologiques sur fond de guerre froide de l'accouchement sans douleur, un retour sur le poil pubien exposé par les revues rivales Playboy et Penthouse – un exposé plus complet sur la pornographie et sa violence eût été à mon sens plus utile –, les politiques de répression de la natalité en Chine, et l'usage génocidaire du viol : dans les guerres en ex-Yougoslavie, au Rwanda, mais déjà par les Japonais en Chine, et les Soviétiques en Prusse orientale. Après ce crescendo d'horreurs, barbaries toutes modernes, l'auteure a raison de terminer en antithèse, par un ch. intitulé « Chair et paix », où les femmes, par leurs révoltes sexuelles, sont parvenues a obtenir la paix : au Liberia en 2003 et en Colombie en 2006.
Cit. :
« Le 4 juillet [1958], après plusieurs semaines de siège intensif, quelque six mille femmes s'approprient une méthode punitive tribale contre les hommes, l'anlu. Tandis que les politiques palabrent et argumentent, elles retirent leurs vêtements dans la rue, chantent et dansent dans le plus simple appareil. Quant à celui qui a le malheur de croiser leur chemin près du bâtiment du Congrès national du Cameroun, il est poursuivi et insulté. Les femmes lui exposent leurs parties intimes. Honte, ridicule et opprobre sont ainsi jetés sur ces victimes de leur anlu. […]
La rébellion de l'anlu ne compte pas s'arrêter avant de faire trembler l'État colonial. […] Le gouvernement tente d'endiguer le mouvement en arrêtant sa "reine", mais venues de toute la région, des femmes de plus en plus nombreuses encore se massent dans le chef-lieu du nord-ouest, Bamenda. Leurs manifestations sont si redoutables que la police ne peut les contenir.
Le gouvernement n'a plus d'autre choix que de dialoguer avec celles qui ont pris le contrôle des affaires tribales. L'indépendance de la zone française est proclamée le 1er janvier 1960, et le Cameroun devient la première des colonies africaines à y accéder. Au-delà de cette victoire politique inédite, la symbolique utilisée par les femmes kom vaut le meilleur des slogans de tous les propagandistes : en faisant de leur sexe nu une arme de révolte capable de remettre en cause les règles coloniales, elles ont participé à la libération du territoire. » (pp. 204-205)
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]