[Séduire comme une biche | Jean-Baptiste de Panafieu, Jean-François Marmion]
J'ai voulu, par ce livre, renouer avec mes lectures de l'hiver dernier traitant l'amour selon la génétique, la sélection sexuelle, l'évolutionnisme comportemental, bref le point de suture entre l'éthologie et l'anthropologie. La démarche de cet essai est néanmoins assez différente de celle de mes Matt Ridley et confrères. Au lieu de s'interroger sur ce qui peut être génétique dans les comportements amoureux, les deux auteurs analysent ici douze aspects identifiés relevant de la séduction et s'interrogent sur leur pertinence respectivement – et séparément – « dans la nature » (Jean-Baptiste de Panafieu) et « chez les humains » (Jean-François Marmion). Les parties relatives à ces derniers sont généralement plus courtes, fondées sur des travaux plutôt sociologiques qu'anthropologiques (jamais paléo-anthropologiques) et majoritairement anglo-saxons (ce qui n'est pas surprenant) ; celles qui concernent « la nature », malgré la diversités des exemples cités, me semblent privilégier légèrement l'ornithologie – mais ce n'est peut-être qu'une impression.
L'identité des aspects de la séduction entre animaux et humains est-elle avérée et démontrée ? Là ne semble pas non plus être le but de l'essai, d'autant qu'on prend aussi la précaution de se méfier de l'anthropomorphisme des comportements animaux. Comparaison n'est pas raison, dit le proverbe ; néanmoins elle peut être à la fois instructive et fortement divertissante – et c'est à l'aune de ces deux paramètres que l'on jugera de cette lecture.
Et d'abord : quelles sont les limites sémantiques du concept de séduction, dès lors que :
« Pour la plupart des animaux, la séduction est donc une affaire autant collective que personnelle. Chez les mouches, les grenouilles ou les poissons, on ne décèle pas de préférences individuelles. Leurs choix sont fondés sur des signaux informatifs, mais les réponses apportées à ces appels sont des réflexes qui ne supposent aucune émotion particulière, d'autant plus que ces animaux ne se côtoient pas en dehors de la période de reproduction. » (pp. 187-188) ? On comprendra donc la séduction (plutôt au passif) comme le choix du partenaire reproductif, opéré la plupart du temps par celui des sexes qui s'investit davantage dans la reproduction (le sexe féminin) ; et ce choix est absolument prévalant (quasi universel ?) dans le règne animal et déterminant pour le bon fonctionnement de l'évolution.
Parcourons, ne serait-ce que pour la beauté de la formulation – le charme des listes aux infinitifs... –, les titres des chapitres qui indiquent les douze aspects de la séduction :
« 1. Choisir comme une mouche
2. Attendre son heure comme un saumon
3. Chanter comme une baleine
4. Se parfumer comme un papillon
5. Briller comme une luciole
6. Charmer comme un cerf
7. Se maquiller comme un flamant rose
8. S'ornementer comme un paon
9. Danser comme un albatros
10. Converser comme un manchot
11. Se montrer généreux comme un grillon
12. Éblouir comme un jardinier satiné ».
Si l'on renonce donc pour un instant à penser que les humains ont hérité de tous ces attributs de leur propre séduction par voie évolutionniste (encore que...), et que l'on s'amuse à supposer qu'ils se peut qu'ils les aient développés (en particulier : le chant, la danse, l'ornementation et éventuellement la conversation amoureuse – ou le discours amoureux dont la pauvreté affligeait Roland Barthes...), en tout ou en partie, en regardant autour d'eux et en s'inspirant de la nature, on ne s'étonnera pas que certaines similitudes ne nous rapprochent nullement des primates, nos plus intimes parents, mais d'espèces bien plus éloignées. D'autre part, nous en sommes encore à devoir digérer l'humiliation de la proximité de gros fragments de notre génome avec celui d'espèces tout à fait inattendues...
Seule exception, dans la cit. suivante, que j'ai choisie à dessein :
« Mâles et femelles [des gibbons] se ressemblent beaucoup et ont un comportement propre à leur famille mais qui est inconnu des autres singes. Plusieurs fois par jour, les couples se lancent dans des duos vocaux spectaculaires qui durent 10 à 30 minutes. Mâles et femelles n'ont pas exactement le même répertoire et se coordonnent parfaitement. Cet accord leur demande une période d'apprentissage. Si le couple n'est pas bien réglé, cela s'entend et peut attirer des rivaux de l'un ou l'autre sexe. On retrouve la double fonction d'avertissement territorial et de cohésion au sein du couple. » (pp. 148-149)
Incipit de la Préface par Boris Cyrulnik :
« Comment pourrions nous vivre dans un monde sans séduction ? La réponse est claire : nous serions réduits à des rapports de force, comme un prédateur qui saisit sa proie et la croque. »
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