[La geste des Princes-Démons. 1, La mémoire des étoiles | Jack Vance]
Outre-monde.
Couple d’universitaires spécialisé en musicologie, Hilyer et Althéa Fath parcourent durant leurs vacances l’aire gaïane afin de dénicher des instruments de musique originaux et intrigants. Au cours d’une pérégrination sur la planète Camberwell, les deux ethnologues secourent un enfant molesté par des jeunes paysans soucieux d’éradiquer le chiendent en pousse. Transporté d’urgence à l’hôpital, le garçon pourrait survivre à ses multiples contusions et fractures si des souvenirs terrifiants ne l’assaillaient. Les médecins décident de l’amputer d’une partie de sa mémoire afin de lui permettre de survivre. Adopté, choyé, éduqué, Jaro fait le bonheur et la fierté des Fath de retour sur leur planète originelle nommée Gallingale. Pourtant, l’étiquette sociale conditionne les faits et gestes des habitants de Gallingale et si les Fath vivent délibérément hors de tout arrivisme, Jaro, considéré comme un « nimp », est mis à l’écart de la vie de son lycée. Méprisé, rabaissé, délaissé, Jaro n’en aura cure jusqu’au moment où il sera sauvagement agressé. Le pacifisme forcené des Fath n’y changera rien. Jaro décidera de reprendre la main et d’assurer ses arrières avec l’aide de Gaing Neitzbeck, mécanicien au spatioport et formateur hors pair : « L’orgueil est un jugement intellectuel que l’on porte sur soi-même. C’est un mélange d’espoir et de fantasme dont il ne faut pas tenir compte. L’assurance, qui est l’indication des compétences acquises, représente un critère plus utile ». En quête de ses origines, désireux de reconstituer son passé fragmenté, Jaro veut devenir spationaute et explorer les planètes des confins mais comment concilier les souhaits de ses parents adoptifs avec des désirs viscéraux ? Comment devenir possesseur d’un vaisseau spatial d’un coût exorbitant ? Où chercher ? Les années ont passé et l’aire gaïane est vertigineuse. Les mondes qui la composent demeurent incompréhensibles au profane et souvent d’un danger mortel.
Grand roman fascinant, « La mémoire des étoiles », au titre sibyllin, se scinde en deux parties équilibrées (apprentissage, exploration) et trace la trajectoire d’une quête identitaire où un jeune homme cherche à habiter pleinement son corps et son esprit. Bien que les thèmes chers à Jack Vance abreuvent l’un de ses tout derniers romans, le lecteur féru du grand œuvre vancien peut apprécier un itinéraire à rebours quand le héros revient à ses origines, de planète en planète, jusqu’à l’épicentre du mal. Entre les surprises sensationnelles qui jalonnent le récit, Jack Vance donne corps à son histoire en décrivant par le menu la vie sur Gallingale, déployant des concepts très compréhensibles pour un lecteur d’aujourd’hui, hors-mondien originaire de la Bonne Vieille Terre, de « comporture » et d’« estrivage ». L’intérêt ne s’éteint jamais même lorsque l’auteur décrit succinctement les interventions de chercheurs et d’universitaires lors d’un colloque à haut risque. Pourtant, le charme du roman exhale ses fragrances définitives sur la planète Fader, située à l’extrême limite de l’expansion humaine, à l’orée du vide sidéral : « un monde de vent, d’eau, de forêt et de steppe ». Colonisée depuis des milliers d’années, la civilisation est happée par l’oubli, la population périclitant, les palais sombrant dans la décrépitude, hantés par les goules blanches, drapées et sournoises, hurlantes et implorantes, mélodieuses et déchirantes. C’est à Romarth, cité décadente de Fader que Jaro, accompagné de Tawn Maihac et de Skirlet Hutsenreiter, va affronter le persécuteur de son enfance et l’assassin de sa mère, le terrible Asrubal qui n’est pas sans rappeler le psychopathe avide, Harry Powers, dans « La nuit du chasseur », exceptionnel roman (1953) de Davis Grubb adapté dans le film magistral (1955) de Charles Laughton.
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