[Tintin - Les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé | GEO]
Les beaux-livres qui se penchent sur telle ou telle spécificité de l'œuvre d'Hergé se multiplient, et ils possèdent l'avantage sur les essais critiques, par la qualité de leur iconographie, de recentrer l'attention du lectorat sur l'aspect visuel de la création d'un homme qui fut, sa vie durant et de diverses manières, plus proche de la peinture que de la littérature. Cela n'ôte rien à la qualité littéraire que je reconnais à plusieurs des fameux 24 albums, ni à la valeur de la plupart des analyses que j'en ai lues.
Cet ouvrage collectif réalisé par la rédaction de la revue Géo s'occupe tour à tour de deux aspects : les civilisations et les arts tels qu'ils sont perçus (ou perceptibles) dans les aventures de Tintin. Perceptions donc, des lieux, des peuples et de leurs arts, mais aussi quelques précisions sur les rapports qu'Hergé a entretenus avec les arts plastiques.
La raison de la scansion entre les chapitres qui traitent de ces deux aspects m'est obscure ; par contre, même les chapitres sur les civilisations, qui portent souvent en sur-titre une simple indication géographique, sont attentifs à la façon dont l'art associé à la civilisation en question a influencé l'esthétique et en somme le trait d'Hergé : ceci est particulièrement vrai pour la peinture de l’Égypte antique dans Les Cigares du pharaon, la peinture et la calligraphie chinoises dans Le Lotus bleu, et l'esthétique de la photographie de l'alpinisme himalayen dans Tintin au Tibet. Dans l'aspect civilisationnel, une grande attention est portée aux sources auxquelles Hergé a puisé dans son célèbre souci de documentation qui, néanmoins, découvrons-nous, n'a pas toujours été aussi scrupuleux voire maniaque que le veut son hagiographie...
Sommaire commenté :
« Panorama : Au cœur des civilisations ». 20 doubles pages qui comparent pour chacune une planche célèbre et l'endroit ou le monument ou le paysage réel qui l'a inspirée. Analyse presque uniquement photographique d'un grand intérêt.
« Coulisses : Dans les secrets des Studios Hergé. Georges Remi, le peintre ». Deux articles respectivement sur la « spécialisation » avec partage des tâches dans la réalisation des albums, à partir de la création des Studios, dans les années 50, et sur la tentative inaboutie d'Hergé de délaisser la BD pour se consacrer professionnellement à la peinture, entre 1962 et 1964.
« Afrique : Au pays des masques noirs ». Entre la polémique interminable sur la vision colonialiste véhiculée par Tintin au Congo, et l'intérêt véritable d'Hergé pour la sculpture africaine et particulièrement pour les masques. Au sujet de la controverse, est rapportée une citation très intéressante tirée de la revue congolaise « Zaïre » qui, en 1970, fit reparaître l'album en français pour la première fois : « Il y a une chose que les Blancs qui ont arrêté la circulation de Tintin au Congo n'ont pas comprise. […] Si certaines images caricaturales de notre peuple […] font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais […]. Ils trouvent matière à se moquer de l'homme blanc qui les voyait comme cela ! » (cit. p. 41) De quoi faire réfléchir sur l'introduction éventuelle du concept de « méta-racisme »...
« Influences : Les maîtres qui ont inspiré Hergé ». Hans Holbein le Jeune, l'art égyptien, Ingres, les pionniers de la BD, Miró.
« Entretien : Quel immense artiste ! » Témoignage de l'ami et historien de l'art Pierre Sterckx.
« Moyen-Orient : Le mirage des sables ». L'Arabie illusoire et géographiquement imprécise.
« Égypte : L'esprit de Toutankhamon ». Entre actualité archéologique et influences stylistiques.
« Shanghai : Avec le petit peuple de Chine ». Reconstruction de la vieille ville de Shanghai dans les années 30, l'influence de l'ami Tchang, et une révélation sur l'identité probable du gérant de la fumerie d'opium éponyme du Lotus Bleu.
« Énigme : Mais où est donc la Syldavie ? » Une célèbre question avec 6 thèses proposées, dont une inédite par l'équipe de Geo.
« Amérique latine : Un continent en réduction ». Entre beaucoup de folklore et un peu d'Histoire précolombienne, mais aussi quelques réalités géopolitiques inchangées...
« Himalaya : Un Tibet vu de très loin ». Sources : Alexandra David-Néel, les épopées des alpinistes, mais raisons probables du refus de traiter la question politique du Tibet.
« L'album inachevé : L'Alph-Art en questions ». Sur les croisements entre cette aventure inachevée, que l'auteur avait conçue comme son testament, et sa propre expérience du milieu du marché de l'art.
« Collection : Visite privée d'un musée intime » Hergé collectionneur d'art, ses goûts, ses audaces, raisons de son penchant pour l'art non-figuratif et pour certaines avant-gardes.
« Quiz » avec solutions : sur Tintin et le cinéma, le design, la musique.
Cit. :
« Mais le plus intéressant, ici [là où L'Alph-Art s'interrompt], reste le sort qu'Endaddine Akass réserve à Tintin : le gourou-faussaire veut couler le héros dans du polyuréthane pour en faire une fausse œuvre du (vrai) sculpteur César. "Réjouissez-vous, votre cadavre figurera dans un musée", lance Akass au reporter. Tintin changé en statue ? Voilà un beau pied de nez à ce qui se passe, à ce moment-là, dans le monde réel : le petit héros d'Hergé, né en 1929 dans un journal pour enfants, est devenu un monument mondial de la BD. On vient même de lui ériger une statue, près de Bruxelles. Dans L'Alph-Art Hergé anticipe la "muséification" de sa créature de papier. » (p. 132)
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