Voici un ouvrage de divulgation très abordable qui survole certains aspects de la multiplicité linguistique dans le monde, en gardant comme fil d'Ariane la sociolinguistique et les politiques linguistiques en œuvre dans le plurilinguisme. La problématique de la disparition des idiomes apparaît fréquemment en filigrane aussi.
Il se compose des douze chapitres suivants, dont je vais évoquer principalement les quelques connaissances ou anecdotes qui m'étaient inconnues :
- Chapitre I : « Aux origines des langues », où il est question des conditions physiologiques nécessaires à l'apparition de la capacité de langage (bipédie, masse cérébrale, cavité laryngée) non suffisantes en l'absence d'une organisation sociale idoine à la communication ; une certaine place est également réservée à quelques mythes sur l'origine des langues autres que le mythe biblique – j'ai adoré le mythe berbère d'après lequel l'incommunicabilité des hommes entre eux et avec les objets aurait apparu suite au pet d'une femme...
- Ch II : « Une mosaïque de langues... », sur la manière dont on regroupe les langues en familles et sur le fait que ces regroupements sont éventuellement contestables ; il est aussi question de l'inégale distribution des multiples langues sur les cinq continents.
- Ch III : « … et une mosaïque d'écritures », où j'apprends l'hypothèse de Leroi-Gourhan selon laquelle les mains négatives de l'époque entre 30000 et 20000 avant J-C. retrouvées sur les parois des grottes (dites « mains mutilées » à cause des phalanges repliées) pourraient constituer le premier système d'écriture. J'ignorais aussi le « Codex Mendoza », document aztèque qui atteste un système d'écriture d'un troisième type, différent à la fois des alphabets et des idéogrammes, mais à plusieurs égards archétype de la bédé (en plus complexe).
- Ch IV : « Les mots voyageurs », sur les emprunts, en particulier en relation avec les rapports de force entre les langues ; cas d'étude : l'@.
- Ch V : « Le plurilinguisme et les conflits linguistiques », avec quelques cas tirés de l'Antiquité – mais étonnement pas le cas de plurilinguisme pacifique de l'Empire romain - ; sur la grande constante de « la ville, révélateur du plurilinguisme », sur les langues véhiculaires, « lingua franca », sabir, etc. et les rapports biunivoques entre conflits politiques et plurilinguisme.
- Ch VI : « L'expansion des langues et leur acclimatation » : je retiens en particulier quelques exemples d'acclimatation du français dans différents pays de la francophonie : « essencerie » pour « station-service » au Sénégal, « aller au fleuve » pour « faire ses besoins » en Centrafrique, « deuxième bureau » pour « maîtresse » au Congo, « communiste » pour « personne malhonnête » (!) au Rwanda...
- Ch VII : « Noms de lieux ! » sur certains toponymes récurrents.
- Ch VIII : « La traduction », sur l'évolution de la notion de « fidélité », sur l'importance de la traduction dans l'histoire des sciences, sur l'adaptation des chansons, sur la traduction automatique, sur les politiques de traduction.
- Ch IX : « La variation et le changement », deux aspects de la dynamique des langues.
- Ch X : « Jouer avec les mots » : contrepèteries, virelangues, lapsus.
- Ch XI : « Les politiques linguistiques » : en particulier standardisation, réformes du turc, du norvégien, de l'indonésien, anti-utopie orwellienne, politiques visant à modifier le statut international des langues.
- Ch XII : « Chronique de morts annoncées ? », sur la question du seuil de danger de survie d'une langue, et sur une vision (pour une fois) étonnement positive de la tendance d'Internet à résorber et compenser ses propres inégalités linguistiques.
Cit. drôle en lingua franca du début du XVIIe siècle (ex. Diego de Haedo – Valladolid, 1612) :
« Mirar cane como hazer malato, mirar como mi estar barbero bono, y saber curar, si estar malato, y correr bono. Si cane dezir doler cabeça, tener febre, no poder trabajar, mi saber como curar, a Fé de Dios abrusar vivo ; trabajar, no parlar que estar malato. »
« Regarde, chien, comme tu fais le malade. Vois comme je suis un bon médecin et comme je sais soigner. Si tu es malade, tu courras bien. Chien, si tu dis que tu as mal à la tête, que tu as de la fièvre et que tu ne peux pas travailler, je sais comment te soigner, par la foi de Dieu je te brûle vif. Travaille, ne dis pas que tu es malade. » (p. 143)
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]