Sans doute avons-nous presque tous fait un jour l'expérience, et ce depuis l'Antiquité qui croyait déjà dans le mythe d'une langue primordiale, d'observer les anciens alphabets méditerranéens en regard (ou au moins certains d'entre eux) : phénicien, grecs archaïques et classique, hébreu, étrusque et autres italiques, enfin le nôtre, latin, – pour y constater :
1) une grande ressemblance dans le nom de la plupart des lettres qui en portent un,
2) une moindre ressemblance dans leurs formes (ne pas se laisser fourvoyer sur la symétrie explicable par le boustrophédon), mais quand même...,
3) des régularités dans leur succession, mais par séries, malgré certaines permutations, décalages, ajouts, suppressions, modifications graphiques.
Mais avons-nous déjà pensé que l'ordre de ces lettres, assez insaisissable de prime abord, éloigné de la fréquence d'usage des initiales et pourtant pilier de tant de listes, classifications et autres taxinomies innombrables pût receler un sens ? Avons-nous simplement imaginé que l'alphabet fût en soi un système sémantique plutôt qu'un moyen d'enregistrement purement et simplement phonétique ?
Il fallait un sinologue, rompu aux arcanes de l'index lexicographique chinois (qui parmi nous saurait retrouver un mot dans un dictionnaire de ce langue?), langue idéographique presque pure, pour nous ouvrir les yeux... Et deux miracles de l'archéologie.
Premier miracle : plusieurs abécédaires latins anciens, dont celui de Rapallo (IIIe s. av. J.-C.) et celui trouvé aux thermes des Sept Sages à Ostie, présentent une configuration en deux (ou 4) lignes de douze (ou 6) lettres, avec des cases vides (en 7ème position, entre le F et une sorte de H en forme de chiffre 8 sur nos calculettes modernes, en 21ème position entre le V et une sorte de +, enfin en dernière position, par l'absence du Z).
Deuxième miracle : la découverte des transcriptions protosinaïtiques dans le site de Wadi el-Hol (« Ravin de la Terreur » [!]) déchiffrées à partir de juin 1999, qui constituent le chaînon manquant entre la civilisation égyptienne et celles de Mésopotamie : cette écriture était l'œuvre d'une population sémitique de langue très proche de l'akkadien, mais vivant, immigrée, en « Égypte profonde » ; il s'agit d'une écriture à la fois phonétique (comme le cunéiforme de leur régions d'origine) et idéographique selon l'usage dans leur pays d'implantation. C'est là la matrice de tous nos alphabets, pas l'alphabet phénicien ou hébreu ; c'est ce peuple, et non les Phéniciens, qui a tout inventé – comme Diodore de Sicile l'avait déjà démenti. Cette écriture nous impose d'ouvrir tout grand les portes cognitives de l’Égypte avec ses hiéroglyphes pseudo-alphabétiques, son art divinatoire, son calendrier fondé sur la prédiction des crues du Nil...
Que ne devons-nous pas à des migrants sémites !
Presque autant que nous sommes redevables aux Rôms, anciens Hanabadoches, devenus Lôms, bannis, chassés du Rajasthan autour de l'an 1000, pour avoir pratiqué, sans doute entre autres « métiers impurs », la divination, notamment grâce à une série d'« Images rouges » importées de Chine depuis le VIIe siècle, et qui parviendront jusqu'à nous, en Europe, vers le XIVe s., sous forme de Grand Arcane du tarot : des cartes dessinées donc, plus faciles à transporter et à occulter que tout objet divinatoire manufacturé en usage jusque là.
Récapitulons. Si l'ordre alphabétique sous-tend une architecture invisible, si la position (outre que la forme) des lettres est signifiante au-delà du son qu'elle représente dans chaque langue, si cette position pointe toujours au nombre 24 (quel que soit le nombre avéré des lettres), dans une série obstinément organisée en deux lignes horizontales de 12 – 12 comme les symboles de la Dodécapole, la confédération des cités d’Étrurie, 12 comme les symboles du zodiac ainsi que de l'horoscope chinois, 12 soit le nombre magique du triangle pythagoricien, 12 soit la réponse aux interminables problèmes d'adéquation du calendrier lunaire avec le cycle agricole, problème qui ne sera résolu, mais avec étonnante précision, qu'en Égypte hellénistique et transposé dans le calendrier julien, comportant... 12 mois par an et enfin deux fois 12 heures par jour (une fois 12 heures pour les Chinois) – quoi de plus logique que d'encoder dans l'alphabet l'organisation de la mesure du temps, en y joignant toute sorte de sagesse et de métaphores astrologiques ayant leur contrepartie ici-bas, dans l'univers agraire ?
« Cet ouvrage est avant tout une tentative pour retrouver l'ordre fossile, véritable moteur de la création et de la mise en œuvre de ces matériaux culturels que sont les primo-symboles agraires du néolithique. » (p. 297).
Dès lors, en mobilisant des réserves de sens (et surtout d'occultation de sens afin de garder le pouvoir) sémantiques, phonétiques, graphiques, mathématiques, comment s'étonner que le Noun de la lettre N, qui dans les langues indo-européennes dénote le refus et la négation, occupe la 13ème position, associée si souvent encore aujourd'hui à l'infortune, qu'elle constitue la queue du même Poisson dont Alif est la tête, tandis que le signe des Poissons (équivalent de celui du Coq) était celui du premier mois lorsque l'année commençait en mars (ou de la première année sur un cycle de 60 – cinq fois douze ans), et qu'elle représente la mort alors que le A représente la vie, et ce aussi bien dans le Hong Hua que dans la Lame XIII des Tarots : « Le Faucheur » ?
Récapitulons encore (au bénéfice unique des plus curieux). Chacun des douze signes produit un couple de lettres entretenant entre elles des rapports de complémentarité ou d'inversion :
A-N – B-O – C-P – D-Q – E-R – F-S – G-T – H-V – I-W – K-X – L-Y – M-Z.
Ier signe : Poisson (Poissons/Coq) => 1ère posit. Alif (volatil le tenant entre ses pattes) => Alpha = Vivre comme tricherie contre le hasard => « Le Bateleur »
=> 13ème posit. Noun (queue du poisson) => Nu = Négation, mort => « Le Faucheur »
IInd signe : Bélier (idem/Chien) => 2e posit. Baâp (cornes dudit) => Bêta = Mémoire, conservation, registre => « La Papesse »
=> 14e posit. Aïn (toison ou œil dudit) => Omicron = Commerce, échanges => « Tempérance »
IIIe signe : Taureau (idem/Porc) => 3e posit. Kâp, Gh'a (cornes dudit) => Gamma = Parole, désignation, grade => « L'Impératrice »
=> 15e posit. Phé (pénis dudit) => P mais pas Pi = Abus, mensonge => « Le Diable »
IVe signe : Semence (Gémeaux/Rat) => 4e position Deqen (sanctuaire, pyramide) => Delta = sécurité, protection, siège du pouvoir => « L'Empereur »
=> 16e posit. Âdo (le germe) => Q = Coph phénicien et hébreu, position et graphisme du Pi mais plus tard produira aussi le Phi = Avortement, catastrophe, chute, foudre => « Maison Dieu »
Ve signe : Scarabée (Cancer/Buffle) => 5e posit. Khépri (pinces dudit) => Epsilon = Bienveillance, harmonie => « Le Pape »
=> 17e posit. (carapace dudit) => Rho = Espoir, foi, désir => « L’Étoile »
VIe signe : Faucille (Lion/Tigre) => 6e posit. (manche du couteau) => F = ancien Digamma, Vav hébreu => Choix, goût, dilemme, préférence => « L'Amoureux »
=> 18e posit. (lame du couteau) = S (NB confusion graphique F-S), Sigma => obscurité, cécité => « La Lune »
VIIe signe : Récolte (Vierge/Lièvre) => Ghêtet (prendre = main du glaneur) => G = Thêta grec et phénicien = Victoire, butin, conquête => « Le Chariot »
=> 19e posit. (l'épi) => Tau =fécondité, abondance, nourriture => « Le Soleil »
VIIIe signe : Mesure (Balance/Dragon) => 8e posit. (les plateaux de la balance) => Hêth phéniciens, hébreu, Éta en position inversée = Mesure, équité, loi => « La Justice »
=> 20e posit. (le pied de ladite) => Vav phénicien, Upsilon = Sanction, peine capitale, cadavre => « Le Jugement »
IXe signe : Venin (Scorpion/Serpent) => 9e posit. (son dard) => Iota = secret, initiation => « L'Hermite »
=> 21e posit. (ses pinces) => Sin phénicien et hébreu, W étrusque, case vide en latin et en grec archaïque, mais cf. graphisme du Oméga minuscule = Don du savoir, enseignement (prosélytisme), voyages lointains, propagation, frontières => « Le Monde »
Xe signe : Archer (Sagittaire/Cheval) => 10e posit. (la flèche) => Kappa = Précision, vitesse, but éloigné => « La Roue de la Fortune »
=> 22e posit. (l'arc) => Khi grec et X italique = Concentration, effort, pénibilité => Lame manquante [devait être Loin]
XIe signe : Chèvre (Capricorne/Chèvre) => 11e posit. (le pied de biche) => Lambda = Force, domination, contrainte => « La Force »
=> 23e posit. (ses cornes) => Vô cananéen, Psi, Y étrusque = Invasion, trahison, faiblesse, velléité => Lame manquante
XIIe signe : Irrigation (Verseau/Singe) => 12e posit. (la surface de l'eau) => Mu = Maternité, immobilisation, impuissance, inaction [pour le petit côté sexiste, notera-t-on...] => « Le Pendu »
=> 24e posit. (la profondeur des eaux) => Z = signe phénicien de fin de phrase, hiéroglyphe « la flamme » (t'), ancienne posit. du Zêta avant son passage à la place du Digamma = Bannissement, déchéance, itinérance, mendicité => Lame sans numéro : « Le Mat ».
C'est presque une révélation prophétique que tout cela se termine par la prédiction auto-réalisée de l'exil, de l'errance, de la misère. Hélas, Tss, tsss, tsss [son de dépit, de réprobation et/ou de commisération attesté dans de nombreuses langues !]
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