Ecrit en 1931, "Le meilleur des mondes" est un livre étonnant par la description qu'il fait d'un monde où tous les individus seraient conditionnés pour se sentir heureux, ceci permettant de rendre impossible toute idée de révolte et tout comportement asocial, assurant ainsi la stabilité de cette société universelle. Un des éléments constitutifs de ce monde-là est le bannissement de toute parentalité : les enfants sont conçus par insémination artificielle et clonage. Les embryons se développent dans des tubes à essai et subissent des traitement chimiques qui vont les rendre aptes aux tâches auxquels ils sont destinés. Les mots "père" et "mère" sont tabous. De même, toute religion est bannie et Dieu a été remplacé par "Ford" (ce qui donne lieu à des exclamations comme "Mon Ford" ou "Ford merci,...". Il n'existe pas de vieillards, ni de malades, seulement des hommes et des femmes en pleine santé. Les contrariétés ou les déprimes passagères sont immédiatement traitées par une prise de "soma", une substance qui permet de chasser les idées noires et de retrouver très vite la joie de vivre. Des pilules de soma sont distribuées à chacun en récompense de son travail, travail que chacun, quelque soit la caste à laquelle il appartient (depuis les Alpha, caste supérieure aux Epsilon dévolus aux tâches les plus ingrates) est heureux d'accomplir pour le bien commun.
On peut lire ce livre soit comme un roman d'anticipation qui décrirait l'une des dérives possibles de notre monde, soit comme une critique du monde comme il le devenait déjà en 1930 (avec notamment le travail à la chaîne, initié dans les usines Ford pour la production de la fameuse "Ford T") ou comme il est aujourd'hui avec la mondialisation de la consommation et l'uniformisation des modes de vie et de la culture amplifiés par le réseau internet et le tourisme de masse. On peut donc légitimement penser qu'une partie au moins des prémonitions d'Aldous Huxley est déjà bel et bien réalisée. Toutefois on peut objecter que les utopies scientifiques les plus proches du "meilleur des mondes" d'Huxley qui ont été au moins partiellement mises en oeuvre au XXème siècle, sont le communisme soviétique d'une part et le nazisme d'autre part et que ces deux expériences de sociétés totalitaires ont été fort heureusement stoppées, non sans avoir causé les atrocités que l'on sait. On pourrait donc croire que l'humanité est vaccinée contre les utopies comme celle que nous décrit Huxley. Malheureusement l'oubli est le propre de l'homme...
Si l'intérêt sociologique et philosophique de ce livre me paraît donc indéniable, je serai beaucoup plus réservé sur le côté romanesque du livre. L'auteur nous présente au fil du récit quatre personnages principaux : une femme, Lenina, et trois hommes : Bernard, Helmholtz et "Le sauvage". Ces personnages ont chacun une personnalité qui tranche avec la masse de leurs congénères (quoique de façon modérée pour la "pneumatique" Lenina). Pourtant on a l'impression que l'auteur n'a pas vraiment de scénario pour eux, du moins pour Bernard, Helmoltz et Lenina qui sont "escamotés" de façon très décevante. Quant à la fin du roman, centrée sur "le sauvage", je trouve que c'est une véritable calamité d'un point de vue narratif. Ce roman méritait mieux. On se prend à rêver que la deuxième partie du roman (sinon la totalité) soit réécrite par un romancier à la verve épique tel qu'un John Irving, un Jonathan Coe ou un Jean-Christophe Ruffin par exemple. On peut rêver, non ?
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