Ecce homo.
Mance et Hazel vivent en marge de la réserve indienne de Prairie Rose et bien que le temps corrode les corps, leurs cœurs battent toujours de concert alors qu’ils ont partagé ensemble une vie frugale quasi autarcique. Comme l’arbre isolé dans la montagne attire inévitablement la foudre, leur maison perdu aux confins du monde devient la cible de militaires en perdition.
Dessiné d’une main forte par Danijel Zezelj, auteur croate d’une rare intensité graphique, le prologue de Scalped se déroule en lisière de la communauté indienne, contrebalançant la violence, la dépravation, les coups fourrés et l’absence d’avenir d’hommes en pleine déréliction.
L’épisode suivant, de 45 pages, soit le double d’épaisseur du précédent, se recentre sur Shunka (« chien » en lakota), le bras droit et dur de Red Crow. Shunka quitte le Dakota du sud pour le Michigan afin de persuader Bobby Greenwood, chef tribal et propriétaire du Potawatomi Palace, d’arrêter de dénigrer le casino de Prairie Rose auprès des artistes en tournée. Greenwood accepte mais demande à Shunka d’aller rencontrer l’ancien chef tribal de la réserve, Joseph Crane, afin de le convaincre de ne pas défendre la cause des homosexuels indiens.
Rien ne peut se dérouler comme prévu d’autant que Shunka cache des secrets inavouables et fait montre d’une violence dévastatrice qu’il sait contenir quand les circonstances l’exigent. Shunka est redoutable mais Joseph Crane, doté d’une intelligence supérieure, est retors en diable.
Davide Furno, artiste transalpin, a nettement amélioré son trait anguleux, délivrant des expressions nuancées où la duperie se mêle à la séduction.
S’ensuit un court épisode rétrospectif réalisé par le créateur graphique de la série, Rajko Milošević Guéra, dessinateur serbe totalement en phase avec l’histoire dévidée par Jason Aaron, fameux auteur américain de comics. La vie du père de Dash, Wade Bad Horse, est narré et au passage, le lecteur comprend pourquoi il a choisi ce prénom étonnant pour son fils.
L’épisode le plus conséquent (fascicules 39 à 42 dans l’édition américaine) clôt admirablement l’ensemble. Carol, enceinte de Dash, se débat avec son passé alors que Dashiell lutte contre ses démons, ses terreurs et le sevrage des drogues dures sous la hutte à sudation qui l’entraîne au bord de la folie.
Le scénariste a parfaitement ourdi son récit, substituant à la violence cathartique des premiers épisodes un dévoilement des psychés à mesure que les passés révèlent les personnages, leurs trajectoires et l’impasse de Prairie Rose. Tout ne peut qu’être feu et cendre et pourtant la vie pulse, l’espoir palpite en dépit d’une poisse existentielle indécrottable.
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