Quel que soit le chapitre par lequel le lecteur aborde ce recueil d’essais, il risque de tomber en pâmoison. Lorsqu’à trente-trois ans, en 1958, Herbert Zbigniew obtient son passeport polonais pour la France, l’Angleterre et l’Italie afin d’effectuer des voyages d’étude dans le « jardin » de l’Occident, le « barbare » qu’il est c’est-à-dire l’étranger, en référence au statut des Sarmates dans l’Empire romain dont le limes excluait l’actuelle Pologne, pose un œil neuf, érudit et perçant sur des trésors qu’il dévoile à travers une écriture fluide, précise et lisible. L’auteur écrit pour être lu et non pour être étudié scientifiquement. Ses dix courts essais ont été publiés en revues entre 1960 et 1962. Ils n’ont été traduits en français qu’en 2000. L’excellent éditeur Le Bruit du temps propose une traduction revue des essais de Zbigniew, superbement illustrés en couleur avec des notes bibliographiques indiquant des sources d’un grand intérêt. La citation de Malraux que l’auteur aurait placée en épigraphe est poétique et profonde, supposant une filiation de l’art par le geste. Elle introduit remarquablement le premier essai intitulé « Lascaux ». « Dans le soir où dessine encore Rembrandt, toutes les Ombres illustres, et celles des dessinateurs des cavernes, suivent du regard la main hésitante qui prépare leur nouvelle survie ou leur nouveau sommeil » (Les Voix du silence). Herbert Zbigniew raconte son voyage à Lascaux qui « ne figure sur aucune carte officielle ». S’ensuit un petit déjeuner, une omelette aux truffes et l’auteur digresse sur un champignon âprement convoité qui donne aux forêts périgourdines « un air desséché pitoyable » du fait d’une substance vénéneuse produite par le mycélium qui annihile toute végétation. Puis Herbert pénètre le bunker, passe la porte blindée, entre dans Lascaux, la grotte originelle et c’est l’éblouissement : « du noir, du brun, de l’ocre, du cinabre, du cramoisi, du mauve et le blanc de la roche calcaire. Des couleurs vives, et d’une fraîcheur qu’on ne voit sur aucune fresque de la Renaissance. Des couleurs de terre, de sang et de suie ». Toutes les impressions, les interprétations sont étayées par une documentation précise qui reste en retrait et n’entrave pas l’intelligibilité de l’écriture. Le pouvoir évocateur est tel que tout paraît évident même si l’auteur se défend de rendre compte du chef-d’œuvre de l’art pariétal, le « Cheval chinois » : « L’un des plus beaux portraits d’animaux, de l’art paléolithique mais aussi de tous les temps ». « Le contour noir, souple, qui s’épaissit ou disparaît par endroits, ne dessine pas seulement les limites du corps ; il en modèle aussi la masse ». L’homme préhistorique reprend pied dans l’imaginaire et ouvre pour l’auteur le chemin vers les temples grecs et les vitraux gothiques. S’ensuivent de splendides pérégrinations, à Paestum, antique enclave grecque dans la région napolitaine, Arles, la cathédrale Saint-Trophime, Frédéric Mistral, Orvieto, Sienne avec un long chapitre inspiré courant sur cinquante pages, la cathédrale de Paris, Piero Della Francesca, Chantilly, Senlis, Ermenonville. Toutes ces évocations semblent incarnées tant le regard de l’écrivain est précis, érudit, sensible, intelligent et personnel, volontiers posé sur les à-côtés. Pourtant, deux chapitres captent encore davantage l’attention et accélèrent le pouls du lecteur dès lors où il perçoit la fragilité de l’art et de la culture notamment à l’époque de Zbigniew, en Pologne. Il s’agit d’une réflexion inspirée sur les « Albigeois, inquisiteurs et troubadours » qui donne le vertige puis d’un « Plaidoyer en faveur des templiers », une épopée relatée hors des ornières de l’historiographie officielle. Itinéraire spirituel d’une force intacte, « Un barbare dans le jardin » trace avec finesse et légèreté des allées ourlées d’ombres, piquetées de senteurs capricantes, reflets fugaces de rêves sertis dans les pierres et les éthers.
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