C'est visiblement une véritable obsession que nourrissait Mauriac pour le monde de la terre, plus précisément pour celui des propriétaires terriens. Une fois de plus, nous plongeons avec "Destins" au cœur de ces familles au sein desquelles les relations sont faites de rudesse et de sécheresse affective.
Jean Gornac, maintenant octogénaire, est de ces êtres laborieux et sans imagination, hermétiques à la passion, dont l'univers se restreint aux arpents de vignes ou aux rangées de pins. Il a passé son existence à acquérir toujours plus d'hectares, et à intriguer dans le milieu politique local afin d'y placer ses relations. Le grand malheur de sa vie est de n'avoir transmis à sa descendance ni son sens des affaires, ni sa solidité d'homme travailleur et opiniâtre. L'un de ses fils est mort mystérieusement après avoir vécu à Paris une vie de pseudo artiste, et il n'a aucun contact avec le second. Il n'a plus que sa bru, Elizabeth, dont il admire le sens des affaires et la rigueur, et son petit-fils Pierre, un pédant trop "philosophe" à son goût, qu'il n'apprécie guère.
Il a pris sous son aile Augustin Lagave, fils de Maria Lagave, sa voisine paysanne. Il a financé les études de ce garçon prometteur qui ne l'a pas déçu, puisqu'il occupe à présent un haut poste dans l'administration des finances. Comme Jean Gornac, Augustin, en tant que père, n'a pas eu de chance : il méprise son unique enfant, Robert, sans doute autant qu'il s'estime lui-même.Il considère le jeune homme comme un faiblard, un bon à rien trop joli pour être honnête, et éprouve une honte intense, à l'idée de la vie qu'il mène parmi la jeunesse dorée de la capitale, faite de futilités et de débordements.
Pour l'heure, Robert se remet d'une pleurésie à la campagne, chez sa grand-mère Maria (qui ne l'estime pas davantage que son père), passant beaucoup de temps chez les Gornac, choyée par une Elizabeth attendrie par sa beauté et sa fragilité.
"Destins", à l'instar du Mystère Frontenac, est un roman qui s'attarde davantage sur l'histoire du "clan" que sur l'une ou l'autre de ses figures. L'évocation, parfois, d'une émotion, d'une pensée, nous fait bien pénétrer l'espace d'un instant dans les bouleversements d'une âme, mais ces fulgurances sont reléguées à l'arrière-plan, l'intrigue étant principalement centrée sur les interactions entre les personnages. François Mauriac y dépeint des relations intergénérationnelles faites d'incompréhension totale, deux mondes s'opposant par l'intermédiaire des pères et des fils : le monde provincial et austère de la terre, du labeur glorifié, et celui, clinquant, superficiel mais séduisant, des nuits parisiennes aux côtés d'une certaine jeunesse snob et aristocrate.
Méconnu, ce titre est considéré dans l'oeuvre de François Mauriac comme un texte mineur. S'il n'a pas, en effet, la force et la précision de ses romans plus illustres, il n'en constitue pas moins l'occasion d'une lecture agréable (grâce, toujours, à cette fluidité de l'écriture propre à l'auteur), pendant laquelle on ne s'ennuie pas une seconde.
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