"Illska" est né d'un projet à la fois clair et ambitieux : rendre compte de l'omniprésence et de la pérennité du mal.
Pour étayer une telle démonstration, il n'existe sans doute pas de référence plus parlante que celle de l'Holocauste, qui hante les pages du roman d'Eiríkur Örn Norðdahl, insère ses tentacules dans le moindre repli de son intrigue, y compris lorsqu'elle est censée parler d'autre chose. Seulement voilà, dans "Illska", il n'y a pas d'autre chose. Le récit a beau prendre des allures d'histoire d'amour, et s'attarder sur certains de ses corollaires -jalousie, trahison...- on en revient toujours au même point : en filigrane, y plane, de manière permanente, l'idée de la possibilité du pire dont l'homme est capable.
"Illska" commence par la rencontre entre Omar et Agnes. Ils approchent de la trentaine, ne se sont pas encore véritablement fixés de projet de vie. Omar enchaîne les petits boulots. Agnes, juive d'origine lituanienne (le récit se déroule en Islande), n'en finit pas de rédiger un mémoire sur la montée des mouvements populistes en Europe. C'est dans le cadre de ce travail qu'elle fait la connaissance d'Arnor, un néonazi. Bien qu'installé avec Omar, la jeune femme, séduite par son intelligence, noue avec Arnor une étrange relation.
Les circonvolutions du roman, très bien construit, nous conduisent ensuite à Jurbarkas, petit village de Lituanie, pendant la seconde guerre mondiale. Certains de ses habitants ne se font pas vraiment prier pour collaborer avec l'Einsatzcommando arrivé sur les lieux avec pour mission d'éliminer juifs et autres indésirables. La terreur s'installe... votre voisin d'hier, le client de votre commerce, le patient de votre cabinet, est susceptible, d'un instant à l'autre, de vous humilier, de vous tabasser, de vous abattre comme un chien. Agnes compte, parmi les protagonistes de ces macabres événements, des ascendants dans les deux camps...
Au fil de ses allers retours perpétuels entre passé et présent, de l'Islande à la Lituanie, le récit semble hoqueter, mais jamais de manière anarchique. Il est évident au contraire que cette étrange sensation de pilonnage que procure la forme d'Illska est une volonté de l'auteur. Eiríkur Örn Norðdahl martèle son intrigue d'interruptions régulières, y insérant des informations brèves et diverses, chiffrées ou anecdotiques, sur l'Holocauste, le racisme, la barbarie humaine. C'est un peu comme si l'on regardait un film entrecoupé d'images subliminales, la teneur du message véhiculé par ces images étant la suivante : nous vivons dans un monde gangrené par la xénophobie et la violence qu'elle engendre. Et aucune leçon ne saurait être tirée de l'Histoire, le rejet de l'autre étant inhérent à l'homme.
Une fois posé ce postulat, l'auteur incite à une réflexion sur la difficulté à identifier et à admettre le danger que représente toute manifestation de ce rejet. Car le fascisme ne se présente pas forcément en bottes et en uniforme. Il sait aussi se faire insidieux, s'exprimer dans certaines subtilités du langage, se faufiler dans les croyances que les démagogues tentent d'imposer à propos d'Autrui...
A partir de quel moment doit-on s'alarmer de la progression du populisme ? Quand doit-on estimer que l'on bascule dans une situation inacceptable ? Du simple préjugé à l'acte raciste, où se situe la frontière au-delà de laquelle l'intégrité de l'autre est menacée ?
"Illska" est un premier roman d'une étonnante maîtrise, dont le sujet est traité de manière originale et intelligente, bien qu'un peu moins subtilement dans sa dernière partie, où l'exercice de style a tendance à primer sur le fond.
A lire, bien sûr, malgré ce léger bémol...
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