Le corps du monde / Drevet Patrick. – Paris : Editions du Seuil, septembre 1997. – 351 p. – Coll. Fiction & Cie. – ISBN 2-02-032311-7
Cette lecture se rapporte directement à mes investigations historiques personnelles, celles qui ont comme point de départ la personne de Jean Godin, natif de Saint-Amand-Montrond, membre auxiliaire de l'expédition géodésique française partie pour le Pérou en 1735. Rappelons que cette expédition avait pour but de mesurer, près de l'équateur, la valeur de l'arc méridien intercepté par un angle au centre de la Terre d'un degré en latitude, afin de déterminer si le sphéroïde terrestre était allongé ou aplati selon l'axe des pôles. Puisque la monarchie espagnole avait accepté la venue de Français dans ses possessions américaines, l'occasion avait été saisie de mener, en sus des observations géodésiques, des observations de la flore et de la faune. La famille de Jussieu comptait deux de ses membres à l'Académie royale des sciences : Antoine, pensionnaire botaniste, et son frère Bernard, adjoint botaniste. C'est leur autre frère, Joseph, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, qui sera désigné pour effectuer ces observations. Un autre membre auxiliaire de l'expédition, Morainville, est désigné comme « dessinateur en histoire naturelle ».
L'ouvrage de Patrick Drevet suit Joseph de Jussieu des jours précédant son embarquement jusqu'à sa mort. La première de couverture porte clairement l'indication « roman », le Seuil a choisi sa collection « Fiction & Cie » pour le publier, mais ce livre n'en est pas moins extrêmement bien documenté. De nombreuses citations de lettres conservées à la Bibliothèque centrale du Muséum d'histoire naturelle y apparaissent (devant la quantité de documents que j'ai pu rassembler, c'est précisément la source que j'ai remis à plus tard d'exploiter).
Au début de ma lecture, j'ai été un peu interloqué par ce qui m'a semblé être une sorte de fascination de l'auteur pour les corps masculins. Puis ce trait de l'écriture de l'auteur s'est fondu dans son style très particulier. Je ne sais pas depuis combien de décennies je n'avais pas eu besoin de relire des phrases pour les comprendre, mais en ce qui concerne ce livre, j'ai dû le faire très souvent, avec à chaque fois l'impression d'avoir découvert une faute contre l'orthographe ou la syntaxe alors que je n'avais en fait pas bien saisi les rapports entre les différents groupes de mots de phrases particulièrement longues et complexes.
Voici un exemple (c'est moi qui souligne quelques mots) :
« Est-ce à cause de cette dimension purement affective dont est dotée la cannelle que Joseph de Jussieu montra tant d'obstination à aller en étudier sur place les arbres producteurs, en dépit des difficultés du pays de Quixos où il poussait, de la pesanteur de son climat torride, du caractère impénétrable de sa forêt infinie, de la férocité des tribus idolâtres qui y régnaient, comme on avait dû le lui représenter à Elen, ou est-ce sur l'expresse recommandation de son frère Antoine qui le lui avait signalé avec l'arbre qui donnait le quinquina de Loja, ceux qui donnaient l'un le baume de Tolu et l'autre celui de Copahu, ces deux derniers étant déjà restés au grand dam de Joseph à l'écart de sa route à cause du peu de cas que les académiciens faisaient de la botanique ? »
Je me serais attendu à lire soit « elle poussait » (le pronom personnel représentant « la cannelle »), soit « ils poussaient » (le pronom personnel représentant « les arbres producteurs »). En fait, si l'on revient en arrière d'un peu plus de trente lignes, il apparaît que l'auteur avait probablement à l'esprit « cet aromate ». Mais je me suis pris au jeu et ces énigmes proposées à ma sagacité ne m'ont pas dérangé.
D'ailleurs, cette recherche dans l'expression n'est pas gratuite. « L'histoire naturelle n'est ni plus ni moins qu'une manière d'habiter poétiquement le monde. » La quatrième de couverture commence par cette citation de Patrick Drevet lui-même. J'ai eu le sentiment qu'il aspirait précisément à évoquer poétiquement une aventure humaine au sein d'un monde nouveau. Et il m'a semblé que le chapitre vingt (sur vingt-quatre) en constituait une sorte de climax (plutôt au sens musical du terme) avec ses dix premières pages exclusivememt consacrée à décrire la jungle d'où s'individualise peu à peu un petit groupe d'Indiens aux aguets aux abords d'un rio. J'avoue être peu versé en esthétique littéraire. S'il se trouvait par chance que d'autres Agoriens (Swann? Apo ?Ingannmic ? … ?) eussent lu cet ouvrage, ou soient tentés par sa lecture, leur avis me serait précieux. En tout cas, l'auteur a su me faire adhérer à son entreprise, car j'ai lu ce chapitre sans une seconde d'ennui, et même avec intérêt (les autres chapitres aussi, bien sûr).
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