J'ai eu un peu de mal au départ, avec cette écriture qui me donnait l'impression de me racler l'esprit, flux continu constitué d'une alternance d'ellipses et de longues successions de verbes imposant des affirmations brutales, de phrases brèves, d'un enchevêtrement d'images, de faits, de paroles, de prières, accumulation donnant au texte une dimension pressante, oppressante... Un peu d'appréhension aussi, à l'idée que cela tourne à l'exercice de style, au dépens du propos.
Puis l'immersion s'est produite, presque à mon insu, au fil de la voix de la narratrice...
"Kinderzimmer" relate le séjour de Suzanne, alias Mila, au camp de Ravensbruck, où elle a échoué comme déportée politique. Elle égrène ses souvenirs d'anecdotes tragiques, évoquant la maladie, l'extrême saleté, l'intense promiscuité, l'omniprésence de la mort, et surtout cette faim qui tenaille incessamment, et la lutte quotidienne qui en découle, pour gagner une miette de pain, se mettre n'importe quoi dans le ventre, lutte qui exacerbe les mauvais instincts, replonge dans des réflexes d'animal... Mais qui fait naître aussi de beaux gestes de solidarité.
La gageure, c'est de rester vivante, jour après jour, heure après heure.
Se battre pour sa propre existence, c'est déjà presque l'impossible... C'est pourquoi, quand Mila sent qu'une vie bat dans son ventre, elle préfère l'occulter et le taire.
Comment imaginer pouvoir donner la vie dans cet univers de mort ?
Et pourtant, l'enfant naît, et commence alors une autre lutte, pour le nourrir, le protéger des maladies, des rats, du sadisme de certaines gardiennes.
Valentine Goby, à travers la voix de son héroïne, tente d'exprimer l'indicible, d'imaginer, sans le recul que confère la connaissance de l'Histoire, ce que fut la découverte des camps par ceux qui y furent détenus. Comment exprimer le retentissement dans les esprits, dans les tripes, de l'horreur qui leur fut dévoilée ?
Y parvient-elle ? Nous ne le saurons sans doute jamais... il n'empêche qu'elle a su faire de "Kinderzimmer" un roman fort et touchant, dont l'aspect le plus poignant est à mon sens ce décalage qu'elle nous fait subtilement deviner, entre le vécu et le récit, et l'impossibilité pour les victimes des camps de concentration de faire véritablement partager leur expérience.
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