[Rien n'est sacré, tout peut se dire : Réflexions sur la liberté d'expression | Raoul Vaneigem]
Ce petit livre, je ne fais que le relire, le déguster, le rouvrir au hasard pour méditer tour à tour une seule phrase ou tout un chapitre, depuis presque un mois. Tant il est distillé. Tant sont nombreuses les implications d'un principe, celui de la liberté d'expression, qui paraît consensuel à notre convenance mais qui, poussé à peine plus loin que la vulgate, s'avère très difficilement compatible avec un grand nombre de nos convictions tout aussi superficielles que ce consensus. Sous la loupe du moindre approfondissement dans nos consciences, nous sommes tous si peu Charlie !
Mais il est impératif et urgent de se soumettre à un examen sévère. Pourquoi est-ce si difficile, mais tout aussi indispensable, d'être tolérant avec les intolérants.
Car il est question ici de lutter contre l'inhumanité, sous forme du principe presqu'universel de la prédation, grâce à l'abolition absolue de toute entrave à la liberté d'expression, ainsi que de la suppression du secret, même lorsque les opinions exprimées sont abjectes et haineuses.
Il faudrait partir de ceci: "Une vérité imposée s'interdit humainement d'être vraie." (p.34), ou de ceci : "L'indignation est une forme honorifique d'abdication." (p. 92), ou encore de ceci : "Il n'y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d'expression, il n'en existe qu'un usage insuffisant."
Mais cet essai n'est pas un florilège d'aphorismes. Il répond au contraire à des circonstances très précises, telles les libertés virtuelles, la liberté de la presse ("bafouée par ceux-là mêmes qui la détiennent"), l'appel au meurtre, les témoignages de sévices, la calomnie, l'insulte, la pornographie... De même, sont ici cités de célèbres ouvrages repus d'ignominie :
"Le sens commun montre qu'il est inconséquent d'interdire
Mon Combat de Hitler,
Bagatelles pour un massacre de Céline, les
Protocoles des sages de Sion, ou les ouvrages révisionnistes, et de tolérer par ailleurs les propos misogynes de Paul de Tarse et du Coran, les diatribes antisémites de saint Jérôme et de Luther, un livre truffé d'infamies comme la Bible, l'exhibition complaisante des violences qui forment la matière ordinaire de l'information, l'affichage omniprésent du mensonge publicitaire, et tant de contrevérités historiques, entérinées par l'histoire officielle." (p. 26)
Il serait impossible de résumer la démonstration de la thèse de l'ouvrage - contenue principalement dans le Ch. III "Pourquoi nous voulons abolir le délit d'opinion" - en quelques phrases. L'on peut se limiter aux postulats suivants : "Tolérer toutes les idées n'est pas les cautionner", "L'interdit aiguillonne la transgression", et "Les pensées haineuses périssent de leur propre venin".
Pour le reste, il faut s'en remettre à la valeur poétique de la parole à qui sa liberté a été rendue, seule arme pour "vaincre le nihilisme à la mode alors que la lecture du monde est fournie avec la grille de décryptage de la rentabilité" (p. 91).
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