Avec un patronyme qui pourrait être calqué sur celui d’un cirque ringard et un titre de bédé aussi banal qu’un roman d’Alexandre, « Le Jardin » avait peu de chance d’exister aux yeux d’un bédéphile lambda. Ce « recueil de récits oubliés » est pourtant une découverte aussi inattendue qu’extraordinaire. Si toutes les historiettes ne tiennent pas nécessairement le haut du pavé, aucune ne démérite et quelques récits sont sidérants de concision et d’émotion retenue. Leurs contenus se passent de mots et s’expriment totalement par l’image. Ainsi de « Paris juin 1945 » paru initialement dans Comix 2000, l’album aux deux mille pages muettes édité par L’Association, collectif d’auteurs indépendants. Un déporté juif revient des camps de la mort et retrouve son appartement parisien occupé par un nouveau propriétaire qui se justifie en lui montrant ses titres. L’homme en pyjama rayé ne récrimine pas mais glisse son doigt derrière le miroir du salon pour en extraire une photographie de sa famille décimée. La derrière image briserait le cœur de n’importe qui en possédant un. La parodie de Blake & Mortimer en Swartz et Totenheimer parue en 2002 dans la défunte revue Ferraille n’est pas seulement grinçante à outrance, elle situe parfaitement bien l’œuvre d’Emile Bravo dans la droite raie de la ligne claire à travers laquelle Edgar Pierre Jacobs s’est lui-même illustré. Seulement là où Jacobs faisait ronronner ses deux gugusses aussi héroïques qu’inaltérables, Sir Francis Blake et Philip Mortimer, Emile Bravo les métamorphose en sbires patentés de la Solution finale. Alors que cela ne gaze plus trop pour Herr doktor Totenheimer confronté au doute, l’inflexible mais débonnaire Franzeskus Swartz le remet sur les rails rectilignes de l’idéologie nazie. La prouesse narrative est ensuite obtenue haut la main par « Young America ». Le récit en huit planches d’un jeune joueur de base-ball promis à toutes les joies de sa future belle vie américaine est totalement chamboulé en plein milieu. Les cases se répètent à l’identique dès le début de la cinquième planche mais les dialogues sont diamétralement opposés. Le résultat obtenu est du meilleur effet : « ‘Culé ! ». L’album est cohérent de bout en bout. Les running gags sont réussis avec les lapins sauteurs ou encore la 4e de couverture répondant à la page de titre. Continuateur corrosif du trait épuré initié par Hergé, Emile Bravo est un auteur discret mais percutant qui se place du côté des rieurs à panache.
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