[Les violences faites aux femmes en France | Amnesty International]
Rapport rédigé par Amnesty International en 2005 et adressé aux pouvoirs publics français tenus, conformément à et dans la mesure de leurs engagements de droit international, à l'application de celui-ci ainsi qu'à la protection des victimes - les deux s'avérant être fort lacuneuses. La nature strictement juridique du document en possède les avantages et les inconvénients : la précision des concepts et des données (y compris dans la jurisprudence) d'une part, mais une certaine aridité du discours juridique qui ne sait jouir de la liberté ni des envols de la pensée sociologique de l'autre ; en contrepartie, chacun des trois sujets abordés - les violences dans le couple y compris la question des mariages forcés, la traite des femmes aux fins de la prostitution, et (très brièvement) les mutilations sexuelles féminines - se clôt par des synthétiques "conclusion et recommandations", parfois évoquant aussi des exemples législatifs étrangers vertueux (Espagne, Italie). L'ouvrage se termine par un long (et glaçant) reportage photographique ainsi que des annexes en guise de "guide pour agir".
D'abord, deux chiffres pour atterrer - et éviter de penser que cela ne concerne que les autres... : en 2003, près d'une femme sur dix en France est victime de violences spécifiquement de genre, perpétrées très majoritairement au sein du couple et/ou par des proches connus (ex. parent ou ex-compagnon) ; et tous les quatre jours, une femme en meurt.
Ensuite, bien que le droit international soit riche et évolutif sur le sujet, ayant a minima l'immense mérite de régler définitivement le prétexte du culturalisme grâce à sa nature internationale et négociée, surtout sous la houlette des organisations fondées autour des droits humains, la législation française, quant à elle, paraît très récente, souvent hésitante voire carrément inadaptée, comme chaque fois qu'il s'agit de faire face à des problèmes de discriminations (ici, de genre) : 1994 pour l'introduction dans le nouveau Code pénal d'une circonstance aggravante lorsque les violences criminelles ou délictuelles sont le fait du conjoint ; 2005 pour le référé violence (éviction du conjoint violent) ; 2003 pour la "loi de sécurité intérieure" (la fameuse et fort critiquable "loi Sarkozy" l. n° 2003-239) qui fait glisser la question de la traite vers une problématique d'ordre public et de proxénétisme... [loi en partie récemment abrogée, en ce qui concerne la prostitution, comme on le sait], laquelle fait cavalièrement fi du Protocole de Palerme, soucieuse comme elle était surtout de la sévérité du "Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile"...
Une pensée m'a accompagné pendant toute la lecture :
"Un certain nombre d'idées préconçues persistent, par ex. sur le fait que la violence serait une conséquence de l'alcoolisme, ou encore de troubles d'ordre psychologique tant chez l'auteur que chez la victime. Certains préférerons voir dans ces actes la marque d'une culture particulière ou d'une classe sociale défavorisée. La violence pourtant touche toutes les femmes, quelles que soient leur origine et leur occupation. L'ENVEFF a permis de montrer que la fréquence des situations de violence au sein du couple ne dépend pas du capital scolaire des femmes et des hommes, et qu'elle touche toutes les catégories sociales dans des proportions très proches." (p. 31).
De la même manière : pourquoi avoir recours à la médiation pénale dans le cas des violences conjugales, comme s'il s'agissait d'un différend entre les intérêts légitimes de deux parties placées sur un plan d'égalité ? (p. 70-71).
Ou encore, gravissime, pourquoi faire des victimes d'une traite aux fins de la prostitution, dignes de reconnaissance d'un statut d'esclave et conformément à la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, plutôt des délinquantes, doublement délinquantes même, jusqu'à il y a quelques mois, pour l'infraction de racolage (abrogé) et pour immigration clandestine ? Pourquoi réduire les réseaux de traite au rang du proxénétisme, par absence d'une dénonciation impossible de la part de victimes qui n'auraient aucune protection contre les représailles en France ni dans les pays d'origine et ne bénéficieraient pratiquement d'aucune contrepartie ?
Ou enfin pourquoi, contrairement au juste zèle déployé pour éradiquer les mutilations sexuelles féminines opérées en France, adopter la politique de l'autruche lorsque l'opération est accomplie à l'étranger sur des (futures ou déjà actuelles) citoyennes françaises, et pourquoi refuser le délai de prescription spéciale de vingt ans prévue en matière de viol et d'infractions sexuelles sur mineurs (depuis 2004 seulement) ?
La réponse que je me suis donnée est la même dans tous les cas : la tentative (peut-être en partie inconsciente) de refuser de reconnaître la violence simplement pour ce qu'elle est. Comme s'il s'agissait à chaque fois de quelque chose d'autre que de la violence de genre : de rapports familiaux ou de couple, de prostituées étrangères (et clandestines, de surcroît !), de "leur culture à eux"... En fait, au lieu d'éradiquer une discrimination, on en renforce d'autres (racistes, classistes, sexistes etc.).
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