"La prostitution est-elle un 'métier comme les autres' ?", "L'exerce-t-on par choix ou par contrainte ?", "En sort-on (indemne) ?", "Comporte-t-elle des éléments de satisfaction voire du plaisir ?", "Faut-il la proscrire ? punir ? qui punir ?" - Questions ô combien dérisoires ! Complexité ô combien plus pesante du réel...
C'est ce qu'indique ce premier ouvrage littéraire, texte d'autofiction de cette météore prodigieuse et tragique qu'a été Nelly Arcan, connue grâce à Nancy Huston et qui a tout pour m'impressionner durablement. Le style (et sans doute la circonstance de l'écriture) emprunte le discours psychanalytique : flot ininterrompu d'une parole qui se cherche un sens et tourne en rond dans de très longues phrases, se répète et digresse et s'associe librement, renvoie - dans une "dimension scandaleusement intime" - à l'enfance et à des figures parentales particulièrement détestées (et détestables) - la mère larve, le père prêt à surgir de derrière la porte sous les traits d'un client - comme origine de l'infini malheur, de l'incapacité d'amour et de la haine de soi de la narratrice, dont la prostitution n'est qu'un épiphénomène. Celle-ci est portant disséquée sans complaisance, souvent par des mots crus, mais dans une démarche proprement analytique dont le centre est la personne elle-même, avec sa "putasserie" et son identité de "schtroumpfette bandante" totalement assumées.
Dans un entretien télévisé datant environ de la parution de l'ouvrage, Arcan concède qu'elle ne récuse pas l'éventualité de l'existence de l'amour, peut-être pas pour elle-même cependant. Ce n'est pourtant pas ce qui ressort de la lettre du texte, dont la prose ténébreuse et morbide témoigne de l'immanence de la pulsion suicidaire - le passage à l'acte surviendra seulement huit ans et quatre livres plus tard...
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