Le facteur Vidal, taiseux et mélancolique, invisible jusqu’à se fondre dans le paysage, attend depuis longtemps l’instant propice pour éliminer Bleyrieux. Une grosse chasse au sanglier est organisée pour les messieurs de Privas, d’Aubenas et de Valence. Raby a dressé son plan de chasse et posté les hommes aux emplacements stratégiques. Le moment idéal se profile pour Vidal. Il doit s’arranger pour faire passer le meurtre comme un simple accident de chasse : « Vidal, certain que les chasseurs présents avaient les yeux fixés sur les sangliers, se dressa, le fusil exactement pointé sur Bleyrieux. Il lança un coup de sifflet suraigu… L’instinct du berger fit que Bleyrieux se tourna d’un bloc et put, comme le souhaitait Vidal, regarder, le temps d’un éclair, venir sa mort ». Le premier chapitre du roman de terroir bien frappé au noir de Jean-Paul Demure se pose comme le dénouement d’une histoire qui reste à venir. Les chapitres suivants vont narrer par le menu le pourquoi et le comment. Cédric Costaro vient de Marseille. Il est stagiaire mais pas journalier. Pour les fermiers qui acceptent sa venue, la différence n’est pas forcément admise entre le bon à rien des villes et l’homme à tout faire mais Cédric, tout jeune homme relativement inexpérimenté, une maîtrise de sociologie en poche, ne se laisse pas faire et apprend très vite. Glandeur des villes, il devient bosseur des champs et il y prend goût. Malheureusement, à son insu, il va réveiller des querelles ancestrales dans ces hautes terres ardéchoises où il a atterri, lui et sa moto rouge. Comme le dit Vidal à Costero : « Il y a le cadastre, clair, net… et il y a avant le cadastre. C’est que là-bas, ils ont les papiers. Mais chez nous, il y a la mémoire. »
Le roman de Jean-Paul Demure est une vraie découverte particulièrement enthousiasmante malgré sa noirceur, un de ces récits âpre à ingérer mais irradiant, fortifiant et lumineux en dépit d'une tragédie annoncée. Pourtant, le monde rural et les hommes qui le composent n’apparaissent pas sous un grand jour. Retors, rancunier, lâche, fanfaron, jouisseur, profiteur, la liste n’est pas close pour décrire les comportements d’une micro-société quasi autarcique. La construction du roman est habile ; la dernière phrase achevée, on revient aux premières pages afin d'en apprécier tous les sous-entendus et en goûter l'amertume jusqu'à l'hallali. Un simple énoncé comme : "Elle est de force..." prend à la relecture une force de farce lugubre. Les descriptions des personnages, nuancées, affinées, s’approchent d’une vérité universelle. Les dialogues brefs et incisifs tombent toujours justes. Afin de parfaire cette pépite noire, de splendides annotations sur les paysages cévenols montrent d’évidentes qualités d’écrivain, voire de poète car Jean-Paul Demure à l’œil ouvert sur le monde et l’alambic de ses phrases en restitue la quintessence : « Le paysage était splendide. On dominait de vastes croupes jaunes, roussies de fougères passées, teintées du rose-violet des bruyères, du vert dense des touffes de genêt qui écrasaient de leur masse les vallées profondes. Il y avait sur tout une immense part de ciel d’un bleu dur dans lequel l’œil s’absorbait sans trouver d’issue ». L’auteur aujourd’hui âgé de 71 ans est édité depuis 1971. Autant dire qu’il y a encore vingt-deux romans à découvrir dont un à paraître en 2013, « Le Chant des morts ». Tout un poème, élégiaque, férocement !
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre