Lorsque Albert Schweitzer, qui avait entamé une polyvalente carrière d'organiste, de théologien et d'écrivain, décide, à l'âge de trente ans, de devenir médecin, c'est dans le but précis de se rendre en Afrique pour y mettre ses compétences nouvellement acquises au service de populations dont il a appris qu'elles en avaient cruellement besoin.
C'est ainsi qu'en 1913, il quitte son Alsace natale pour la mission évangélique de Lambaréné, au Gabon, où sa femme l'accompagne. La construction d'un hôpital et le succès de ses premières interventions chirurgicales lui confèrent rapidement auprès des autochtones une popularité respectueuse, et l'afflux d'un nombre croissant de patients.
La tâche est lourde. En plus de certaines maladies également répandues en Europe, le docteur Schweitzer découvre les ravages occasionnés par les maux locaux tels que la maladie du sommeil ou la fréquence des ulcères de la peau.
"A l'orée de la forêt vierge" se présente comme un journal tenu par Albert Schweitzer, dans lequel il a consigné, à des intervalles parfois séparés de plusieurs mois, ses réflexions, ses découvertes, son quotidien.
Les comptes-rendus presque cliniques (sur les symptômes de ses patients, les traitements qu'il adapte en fonction d'un environnement difficile) alternent ainsi avec ses observations personnelles sur un monde qu'il découvre avec un regard qui peut sembler surprenant et rétrograde au lecteur d'aujourd'hui. L'auteur adopte vis-à-vis des indigènes une attitude paternaliste, considérant le pays colonisateur comme un "grand frère" dont le devoir est d'éduquer, de "civiliser" les populations locales.
Ceci dit, bien qu'il ne remette jamais en question le bien-fondé de la colonisation même, son analyse des comportements indigènes évolue au fil de son séjour.
Dans un premier temps, il découvre une situation qui le conforte dans sa conviction que l'évolution des peuples colonisés n'a pas dépassé le stade de l'enfance... Il déplore l'alcoolisme qui sévit parmi ces populations, ainsi que certaines coutumes ou conduites qu'il juge primaires, comme la polygamie, le cannibalisme, ou leur propension à la paresse.
Et puis, en vivant parmi les indigènes, il apprend à mieux les connaître et à relativiser son jugement. Il admet par exemple que ce qu'il considérait comme de la paresse est en réalité une forme de liberté que procurent à la fois un environnement naturel généreux et une philosophie de vie différente de celle pratiquée par les européens. Pour l'africain, le travail n'a aucune valeur éthique ou morale, il est simplement un moyen ponctuel de se procurer ce dont il a besoin. L'argent en lui-même n'a pour lui aucun intérêt.
Il finit par comprendre, même s'il ne les accepte pas, des comportements qui lui ont dans un premier temps paru choquants d'un point de vue moral, et qui répondent simplement à des nécessités pratiques.
L'auteur constate par ailleurs certains effets pervers du colonialisme. Il critique notamment la stratégie consistant à créer chez l'indigène de nouveaux besoins -le pire étant l'alcool-, pour s'assurer justement de l'apport d'une main d’œuvre docile.
Lui-même prône envers les populations colonisés une autorité équitable et bienveillante, dans le but louable de leur permettre de "mieux vivre" matériellement et spirituellement -selon les critères occidentaux-, sans toutefois poser les bases d'une réelle autonomisation de ces peuples.
"A l'orée de la forêt vierge" peut être ainsi considéré comme un intéressant témoignage. Certes, observé à la lumière des bouleversements qui ont secoué le monde colonial au XXème siècle, le point de vue du docteur Schweitzer peut paraître passéiste, mais il serait dommage d'occulter la nature par ailleurs humaniste de sa démarche. En tant que médecin, il a fait preuve d'un dévouement et d'un altruisme admirables, et s'est toujours efforcé de porter des jugements réfléchis et personnels sur l'environnement qu'il a découvert à Lambaréné.
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