Tous les lecteurs ont un auteur cher à leur cœur, un "chouchou" à qui ils sont prêts à pardonner les pires erreurs, les faux pas les plus maladroits. Et l'un de leur plus cher désir est de rallier les lecteurs du monde entier -bon, soyons modeste : ceux, en tous cas, de leur cercle de camarades lecteurs- à leur passion...
Il s'imaginent en effet non seulement qu'il est de leur devoir, pour rendre justice à l'objet de leur idolâtrie, de faire connaître son génie au plus grand nombre.
Mais ils sont en plus persuadés, ce faisant, de rendre un inestimable service à leurs pairs, en leur ouvrant les portes d'un paradis qui aurait sinon été gâché par ignorance.
Ma marotte à moi, c'est Roberto Bolaño...
On peut sans doute dire de lui que c'est un auteur particulier, et qui effraie un peu : un romancier capable d'écrire un texte de plus de 2000 pages, le dit texte étant de surcroit inachevé, ça a de quoi vous flanquer les jetons !!
Ceci dit, il a également produit des œuvres quantitativement plus modestes, et d'excellente qualité, qui permettent d'entamer la découverte de sa bibliographie à pas de loup.
Car la question est bien là : quel roman de son auteur préféré peut-on conseiller à un néophyte, pour être sûr que le charme prendra ?
Ce dont je suis sûre, c'est que si j'avais lu "Le Troisième Reich" avant qu'Apo ne propose cette lecture commune, ce n'est pas ce titre -le premier de l'auteur- que j'aurais choisi pour l'initier à l'univers Bolañesque. Moi, bien sûr, j'ai aimé, mais je me suis rendue compte, au cours de ma lecture, qu'il ne s'agissait pas là du meilleur roman de l'écrivain chilien, et qu'il comportait certaines longueurs susceptibles de décourager même un lecteur de bonne volonté, comme l'est incontestablement ce cher Apo...
Udo Berger passe des vacances sur la Costa Brava en compagnie d'Ingeborg, sa petite amie depuis peu. L'hôtel où ils séjournent est celui où Udo, adolescent, venait chaque été en compagnie de ses parents. Il y retrouve la belle gérante frau Else, âgée d'une trentaine d'années, dont la froideur le déçoit un peu. Il faut dire que lui-même fait preuve d'un comportement arrogant et capricieux -notamment vis-à-vis du personnel de l'hôtel- qui ternit d'emblée keurs rapports.
Udo et Ingeborg font la connaissance d'un autre couple d'allemands, Hannah et Charly, dont ils deviennent rapidement presque inséparables.
Udo s'isole malgré tout régulièrement : il se passionne pour les jeux de plateau, notamment ceux qui ont pour thème la seconde guerre mondiale, et son statut de champion dans ce domaine l'amène à rédiger régulièrement des articles à ce sujet dans des revues spécialisées. Il doit justement préparer pour la rentrée un papier sur le Troisième Reich, jeu auquel il s'adonne dans sa chambre d'hôtel, pendant qu'Ingeborg et leurs nouveaux amis bronzent sur la plage.
Le rythme du récit est lent, il ne s'y passe pas grand-chose. Les journées de farniente succèdent aux nuits passées en discothèque, troublées tout de même par l'apparition de protagonistes singuliers, comme ces deux espagnols que nous ne connaîtront qu'à travers leurs pseudonymes, Le loup et l'Agneau, et qui revêtent une personnalité quelque peu caricaturale. Ils sont décrits comme de ténébreux et hypocrites individus, qui se font les guides de nos jeunes allemands au cœur des lieux de divertissements nocturnes de la Costa Brava.
Et puis il y a surtout cet individu auréolé de mystère qu'est "Le Brûlé", que ses cicatrices rendent presque monstrueux, qui loue des pédalos à l'abri desquels il élit domicile la nuit tombée. De façon inattendue, ce laconique personnage va se prendre au jeu...
Le récit est baigné d'une torpeur qui suscite le malaise. On subodore, par le truchement d'indices à peine perceptibles, la présence d'un mystère dont nous n'aurons sans doute jamais la clé, qui se nourrit principalement de la façon dont Udo appréhende les événements qui ponctuent son séjour. Il se laisse engluer par une inaction dont il ne s'éveille que pour jouer au Troisième Reich, s'imagine qu'on le surveille, fait des cauchemars de plus en plus prégnants...
Tout cela est évoqué de façon très subtil, par l'intermédiaire du journal que tient Udo, avec toute la subjectivité que cela implique.
On peut discerner dans "Le troisième Reich" les prémisses des œuvres à venir, ce style propre à Roberto Bolaño, qui traque dans l'insignifiance du quotidien les manifestations sous-jacentes de la violence et de la barbarie. L'auteur manie avec maîtrise l'art de la suggestion, et malgré les longueurs évoquées ci-dessus, j'ai apprécié le ton trouble et subrepticement angoissant de ce roman.
Et même si cette première tentative ne s'est pas avérée concluante pour Apo, ainsi qu'il nous l'explique ci-dessous, je ne peux m'empêcher de l'inciter à persévérer, avec un récit plus court et plus efficace, tel "Nocturne du Chili"...
Parce que moi qui espérais compter un adepte de plus dans le cercle Bolañique, je me sens, sur ce coup-là, un peu frustrée...
BOOK'ING
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre