[Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi | Jean-Christophe Rufin]
Jean-Christophe Rufin, médecin et académicien, écrivain et ambassadeur, a su transformer le vaccinostyle en plume à écrire avec grand talent. Bien que réticent aux pompes officielles, le lecteur s’est glissé avec délice dans celles du marcheur sur le chemin de Compostelle. Afin de rendre tangible son voyage intérieur, le pèlerin Rufin le débute par les préliminaires du voyage, un pseudo choix entre la HRP (Haute route pyrénéenne) et le camino puisque le départ est à la croisée des sentiers mais déjà l’esprit du lieu aimante son choix au-delà du raisonnable : « […] le Chemin est l’objet… d’une passion que partagent nombre de ceux qui l’ont parcouru » [d’où la signification du titre : « Compostelle malgré moi »]. L’organisation, le point de départ, le pourquoi du comment défilent ; le lecteur est embarqué, voyageant de concert avec le soliste lancé sur la portée musicale de l’antique tracé, à la recherche du champ de l’étoile (campo stella). Pourtant, l’auteur ne se leurre pas : « […] en quittant le domaine du rêve et du fantasme, le Chemin apparaît pour ce qu’il est : un long ruban d’efforts, une tranche du monde ordinaire, une épreuve pour le corps et l’esprit. Il faudra batailler rude pour y remettre un peu de merveilleux. » Dans l’oscillation entre le trivial et l’envolée, Jean-Christophe Rufin hypnotise. Comme il ne se voile jamais la face, regarde le monde tel qu’il se présente, il entraîne l’adhésion du lecteur, conquis et fraternel, souffreteux et enthousiaste. Rufin s’étonne que « chier dans la nature » remette l’homme à sa place, humble face aux contingences du quotidien. Cette entrée en matière n’embaume pas le récit dans le mausolée des livres mort-nés mais elle le nimbe d’une authenticité dont l’auteur ne se départira jamais : « La clochardisation du marcheur se fait très vite » ; « Une semaine de marche n’est encore qu’une promenade. Longue, pénible, inhabituelle, certes mais huit jours correspondent à une séquence de vacances. Au-delà, on entre dans un espace tout à fait nouveau. L’enchaînement des jours, la constance de l’effort, l’accumulation de la fatigue font du Chemin une expérience incomparable ». L’auteur ne magnifie rien mais pointe son stylet comme un chirurgien de l’âme sur les plaies intérieures et les sutures du paysage. Bien qu’il ne développe pas toujours à bon escient ses intuitions et ses réflexions, à l’exemple des joies minuscules du pèlerin qui ne sont pour lui que menu-fretin dans le grand bain des turpitudes où il se débat, Jean-Christophe Rufin n’esquive rien et pose très souvent un regard pertinent sur son voyage. Il n’hésitera pas à se coltiner avec la drague, le sexe, la foi, le harassement et la vacuité du monde mais il le fera toujours avec humour, sans aucun dogmatisme. La question que peut se poser le lecteur est à partir de quoi un écrivain se distingue d’un tâcheron. Il est bien difficile de donner une réponse précise mais Jean-Christophe Rufin est un écrivain stylé et un homme à suivre. Son journal reste un vrai plaisir de lecture, totalement « encré » dans le tempo du camino.
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