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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pier...]
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apo



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Posté: Sam 08 Juin 2013 21:47
MessageSujet du message: [Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pier...]
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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pierre Bayard]

Grand merci à C-Maupin, à Andras, à quelques autres agoriens qui ont participé au débat sur cet ouvrage il y a quelques années, et à l'Agora en général]

Si je m'en étais tenu à la suggestion contenue dans l'essai, je me serais inventé ce livre sous forme de pamphlet humoristique érudit, genre Paul Watzlawick ou Georges Picard, dont je raffole d'ailleurs, jouant de l'art subtil du paradoxe, maniant avec doigté l'hyperbole et l'antiphrase... Et c'eût été un autre livre.
Ma dernière lecture d'Eco - qui ne cite pas Bayard, dont cet essai est postérieur - pas plus que le souvenir presque opaque du célèbre ouvrage d'Alberto Manguel (devrais-je déjà le compter parmi mes livres oubliés, suivant une autre préconisation dudit Bayard ?) n'ont suffi à faire germer en moi le soupçon qu'il pourrait avoir esquissé, comme il l'a fait, une très cohérente et probante théorie de la lecture - de la réception, de l'interprétation, de la critique des textes littéraires.
En effet, au-delà de l'apparente facétie des différents types de non-lecture et de leur supériorité vis-à-vis de la lecture, eu égard au critère de la créativité inhérente au discours autour des livres, sont introduits de manière presque liminaire des concepts extrêmement importants : la distinction entre "livre-fantôme" (objet du discours), "livre-écran" (renvoi psychanalytique), "livre-intérieur" (en relation avec la question de la mémoire) d'une part, et leurs correspondants se déclinant en "bibliothèque virtuelle", "bibliothèque collective" et "bibliothèque intérieure" d'autre part.
Il est également clair dès les premières pages que la théorie de la lecture proposée se fonde aussi sur le concept d'intertextualité - issu du structuralisme et de la sémiotique - en relation avec la culture conçue comme un système de références dans laquelle la "vue d'ensemble" prime sur l'oeuvre particulière et spécifique ; il s'agit là d'une théorie largement acceptée de nos jours, mais quand même historique [elle n'est jamais expressément évoquée]...
Encore, au-delà de l'aspect utilement pédagogique de la démarche de l'auteur, qui se réclame sans cesse de la désacralisation de la lecture voire du texte idolâtré comme élément inchangeable par les lecteurs, et donc de la déculpabilisation de (certaines formes quand même particulières de...) la non-lecture, allant jusqu'à recommander une durée de six minutes à consacrer opportunément à chaque livre - au-delà desquelles on se laisserait trop influencer, l'on décèle une solide approche psychanalytique dans le rapport entre le savoir (les livres) et la genèse archaïque des sentiments de honte ainsi que l'image de soi :
"Et comme les mots, les livres, en nous représentant, déforment ce que nous sommes. Nous ne pouvons en effet coïncider complètement avec l'image qu'ils donnent de nous, image partielle, idéale ou dévalorisante, derrière laquelle nos particularités s'évanouissent. [...]
En parlant des livres, c'est donc bien plus que des éléments étrangers de la culture que nous échangeons, ce sont des parties de nous-mêmes qui nous servent, dans les situations angoissantes de menace narcissique, à assurer notre cohérence intérieure. Derrière le sentiment de honte, notre identité même est menacée par ces échanges, d'où la nécessité que cet espace virtuel de notre mise en scène demeure marqué par l'ambiguïté." (118-119)

Ce qui est formidable dans cet essai, c'est que malgré ces contenus et leur solidité conceptuelle qui font la force de persuasion et la limpidité de la structure, la prose est toujours très accessible, légère même ; chaque chapitre est introduit (et chaque concept illustré) non par quelque discours abstrait et hermétique mais par un texte littéraire (Musil, Valéry, Eco, Montaigne, Graham Greene, Shakespeare, Pierre Siniac, David Lodge, Balzac, Sôseki, Oscar Wilde) et l'on peut très bien se limiter à un niveau de lecture ludique de ces textes qui met joyeusement en scène les paradoxes de la non-lecture (parmi lesquels le plus flagrant : Bayard cite très minutieusement des textes tirés de livres qu'il qualifie toujours de "LP - livre parcouru" ou "LE - livre évoqué", parfois "LO - livre oublié"). Si c'est ainsi qu'il parcourt ses textes, et s'il le fait en 6 minutes, je veux bien apprendre à non-lire comme lui...

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