Dès les premières lignes, la qualité de l’écriture frappe. La construction elliptique est efficace. L’intrigue est simple. Un tueur psychopathe noir, ancien Marine, tireur d’élite, s’embusque sur les toits et tue des Blancs avec son fusil à lunette. Lew Griffin, Américain noir, n’est pas encore un détective privé aguerri mais il exerce des petits jobs à la Nouvelle-Orléans, une ville violente et raciste, dans les années soixante. La journaliste blanche Esmée qui accompagnait Lew Griffin à la sortie d’un rade vient de prendre une balle en pleine tête. Lew Griffin est d’abord rudoyé par les flics car un Noir avec une Blanche est une situation inconcevable dans l’esprit bas de plafond de l’époque, la Louisiane ayant historiquement interdit les relations sexuelles interraciales. Extirpé de sa cellule par l’entremise d’un bienfaiteur, Lew décide de dénicher l’assassin. Sa traque l’amène à sauver un policier blanc, Don Walsh, des mains du tueur.
Hormis une ambiance bien restituée et un suspense tenue, le roman est l’occasion de découvrir des personnages secondaires mais récurrents, d’un grand intérêt : La Verne, prostituée qui en pince pour Lew, Don Walsh, l’ami, Doo-Wop, pilier de bistrot et informateur, Buster Robinson, bluesman… dans un contexte historique probant. James Sallis fait souvent référence à l’écrivain américain noir Chester Himes. Le lecteur peut juste regretter que l’action soit en décalage avec le récit. Alors que les réflexions du narrateur Lew Griffin y gagnent en intensité, l’action apparaît en différé et perd de son impact. Cela n’entame toutefois aucunement la qualité littéraire de l’œuvre et la force émotionnelle du propos. Ainsi, par exemple, une réflexion de Griffin sur la mémoire : « Ce qui se perd surtout avec le temps, avec le souvenir, c’est la spécificité des choses, la chronologie exacte de leur déroulement. Tout se mélange et se fond en une sorte de potage. Jours télescopés, années compactées. Comme un mauvais acteur, la mémoire tend toujours vers le sensationnel, elle refuse de prendre en compte la motivation, la cohérence et le bon sens. »
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]