Gabriel Landry se présente d’emblée en étalant son curriculum vitae et comme tout bon technico-commercial, il tient le crachoir et le lecteur en haleine. Il a le bagout et saurait certainement vendre des huisseries neuves à des sans-logis. Il est tenace, Landry et c’est lui qui parle de bout en bout. Il raconte sa réussite dans le business du double-vitrage, ses années de terrain, sa grosse voiture, sa femme, sa maison, ses enfants et les encas quand l’occasion se présente sous la forme appétissante d’une jeune stagiaire. Landry a jeté son dévolu sur la belle Bérangère et se propose de l’accompagner chez elle. Elle accepte sans rien promettre au Gabriel qui se fait un film quand à l’inévitable succès de son entreprise de séduction. C’est sans compter sur la malchance et les mauvais concours de circonstance. Landry percute par derrière une voiture et l’envoie dans le fossé. Il aimerait porter secours s’il ne se compromettait en rien. La réalité va dépasser la friction et sombrer dans l’horreur pure sous un air presque innocent. Pour se défendre en fin de parcours, bien naïvement, Landry pensera : « […] j’ai seulement tenté de protéger ce qui m’appartenait : mon nom, ma famille, mon honneur, les biens que j’étais parvenu à acquérir ». Ainsi en est-il des arrivistes sans scrupule et sans état d’âme. Ils ignorent les dégâts collatéraux pour atteindre leur but. Quand la force de vente devient une force de petite frappe…
Cette longue nouvelle noire adaptée à la télévision en 2008 est passionnante de bout en bout. Parue dans la collection Suite Noire dirigée par Jean-Bernard Pouy, hommage affirmé à la Série Noire, elle possède un titre qui fait référence à un classique du roman noir, Virage à la corde (« Turn Left for Murder », 1955) de Stephen Marlowe. Colin Thibert a conçu son histoire comme un horloger suisse. Tout y est millimétré avec des engrenages parfaits sous des dehors simples, des phrases fluides et courtes, un vocabulaire sans fioriture. Le lecteur se glisse dans la peau du personnage principal et dans son long monologue. Il rit des blagues du narrateur, s’énerve de le voir s’emberlificoter, espère un fin heureuse, un retournement de situation car Landry apparaît comme un type ordinaire, sans véritable mesquinerie ni méchanceté foncière, un beauf basique de bon aloi. Il semble être le jouet de circonstances fortuites qui s’accumulent et aggravent son cas bien malgré lui. Gabriel Landry se démène alors tel un vilain diable et vire au monstre en toute connaissance de cause, sans l’ombre d’un repentir. Le tour de force de l’écrivain est bien là, nous empêtrer dans la noirceur d’un quidam, nous faire voir par ses yeux l’épouvante en train de s’accomplir et presque chercher à l’excuser tant que son ignominie n’est pas encore totalement révélée. L’art de l’écrivain est réel et sans défaut dans la cuirasse.
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