Adam, un professeur d’Histoire établi en France, a quitté son Liban natal (pays jamais nommé) au seuil de sa vie d’adulte lorsque la guerre a éclaté, en y laissant un groupe d’amis d’université très soudé et symbiotique, aux appartenances communautaires différentes. Ils se dispersent aux quatre coins du monde, chacun suivant son chemin selon des trajectoires pleines de péripéties mais généralement couronnées de succès ; les divergences des parcours ont parfois éloigné davantage encore ceux qui étaient restés en contact. Mourad et Adam étaient de ces « anciens amis » fâchés, mais l’imminence du décès du premier rappelle l’autre à son chevet après vingt-cinq ans, au pays où celui-ci s’est refusé à retourner depuis sa migration. Ce sera trop tard pour une réconciliation et même pour un ultime échange, mais non pour œuvrer à contenter la veuve, elle aussi du groupe, dans son vœux d’organiser des retrouvailles (funèbres) entre ceux qu’elle souhaiterait voir réunis comme de « vieux » et non plus d’« anciens » amis. En seize jours, Adam parviendra presque à l’exhausser.
Le récit se déroule à deux voix : celle d’un narrateur ainsi que celle d’Adam qui rédige une sorte de journal de ce retour. En effet, il s’agit pour lui à la fois de renouer avec le pays et sa propre mémoire, avec ceux qui y sont restés, dont une part importante est jouée par la relation avec Sémiramis, l’hôtelière et l’amante ; et d’autre part avec chacun des amis dispersés ou disparus. Dans les deux cas il s’agit de fermer une boucle au sens gestaltique.
Évidemment, la substance du roman est à la mesure de la singularité des destins de ces personnages retrouvés, des réflexions sur les effets du temps et de l’histoire personnelle sur chacun, et surtout de toutes les considérations sur l’œuvre de l’Histoire – locale et globale – du dernier quart de siècle, sous différentes perspectives : de celle du constructeur milliardaire retiré dans un monastère à celle du frère de l’ancien guérillero devenu islamiste. Là, le protagoniste revêt tous les rôles : de conteur d’histoires du passé (du sien et de celui des autres), d’observateur participant des lieux, des personnes et de ses propres ressentis, de dialoguant et de contradicteur sur la condition et la marche du monde.
A bien voir, il s’agit aussi et en image reflétée d’une synthèse de l’œuvre de Maalouf elle-même, dans laquelle s’alternent des biographies romancées (
Léon l’Africain, Samarcande, Les Jardins de lumière, Le Périple de Baldassare), d’anciennes histoires de lieux lui étant familiers
(Les Croisades vues par les Arabes, Le Rocher de Tanios, les Echelles du Levant), voire carrément généalogiques-familiales (
Origines), et des considérations critiques et engagées sur le présent (
Le Premier siècle après Béatrice, Les Identités meurtrières, le Dérèglement du monde).
Je note :
« La civilisation levantine. Une expression qui fait sourire les ignorants et grincer les dents aux tenants des barbaries triomphantes, aux adeptes des tribus arrogantes qui s’affrontent au nom du Dieu unique, et qui ne connaissent pas de pire adversaire que nos identités subtiles » (p. 36)
« ˝C’est l’Occident qui est croyant, jusque dans sa laïcité, et c’est l’Occident qui est religieux, jusque dans l’athéisme. Ici, au Levant, on ne se préoccupe pas des croyances, mais des appartenances. Nos confessions sont des tribus, notre zèle religieux est une forme de nationalisme…˝
˝Et aussi une forme d’internationalisme˝, ajouta Adam. » (p. 501)
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